« C’est quoi tes origines ? » Pour certains, la réponse coule de source. Ils répondent du tac au tac, plus rapides qu’un participant à Questions pour un champion. Je ne sais pas s’ils s’entraînent depuis tout petits ou si la réponse leur vient naturellement aux lèvres. De mon côté, j’ai toujours buté dessus, mais il me fallait bien échafauder une réponse, parce que parler de ses origines, c’est avant tout raconter son histoire.
Mon père est né au Portugal, ma mère en Sicile, mais est-ce pour autant que j’ai des origines portugaises et siciliennes ? Moi qui suis née en région parisienne, qui deviens écarlate au moindre rayon de soleil et qui ne sais pas dire plus de trois mots dans ces deux langues, quand vient le moment d’annoncer ces origines, je me sens l’âme d’une impostrice. Pourtant, je me fais violence en me disant que si mes origines tiennent au sang qui coule dans mes veines, alors oui, la source se trouve bien là-bas. Et puis, si je dois subir les blagues sur les Ritals et les poils des Portugaises, j’ai bien le droit de profiter aussi du potentiel exotique et romantique de ces origines !
Et puis, arrivée à l’âge adulte, alors que mon discours avait commencé à bien se rôder, voilà qu’une révélation vient tout bousculer. Ma mère m’avoue, après 28 ans de silence, qu’elle a dû avoir recours à un don d’ovocytes pour m’avoir. Le choc n’est pas si brutal, car immédiatement me reviennent plusieurs souvenirs qui commencent à s’emboîter comme les pièces d’un vieux puzzle qu’on aurait laissé prendre la poussière au grenier. Mes parents se sont rencontrés lorsqu’ils avaient 15 ans et ne m’ont eue qu’à 37 ans. Je sais qu’ils avaient entamé une procédure d’adoption avant qu’on leur parle de nouvelles possibilités de PMA. Ils m’ont parlé de FIV lorsque j’étais au collège, mais lorsque j’ai commencé à poser des questions techniques, ma mère m’a fait taire brusquement. Comme ce n’est pas dans ses habitudes, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de douloureux pour elle autour de ma naissance, et n’en ai donc plus jamais parlé.
Cela me fait du bien d’écouter ma mère me parler de tout ce qu’elle a pu traverser, de ses doutes, de ses blessures et de ses joies. À elle aussi. Elle m’avouera d’ailleurs une semaine plus tard qu’elle a l’impression qu’un poids a enfin quitté ses épaules. Pourquoi s’imposer un tel châtiment ? Et pourquoi laisser vivre son enfant dans l’idée que sa venue au monde ait pu être source de souffrance, alors que c’est tout l’inverse ? Je sais qu’il existe plusieurs réponses à celà (honte de l’infertilité, tabou du don, peur du rejet…), mais je sais aujourd’hui qu’aucune ne justifie les répercussions qu’entraîne inévitablement un tel secret.
Quoi qu’il en soit, l’histoire de mes origines commence à ressembler à quelque chose. J’ai le cerveau en ébullition, un grand sourire sur les lèvres et je n’arrive à me concentrer sur aucun autre sujet. Soudain je remarque quelque chose: il manque un chapitre à l’histoire. Ce que je viens d’apprendre, c’est que le sang qui coule dans mes veines, en fait, je n’en connaîs que la moitié. Alors je suis d’origine portugaise, mais plus sicilienne, c’est ça ? Mais alors, je suis quoi ? Et ce que m’a transmis ma mère, même si ce n’est pas de l’ADN, ce sont quand même mes origines, non ? Que dois-je répondre maintenant, comment je raconte mon histoire ?
Face à ces questions, chacun réagira différemment. Pour ma part, j’ai laissé l’information faire son chemin lentement dans mon cerveau. Une histoire, ça ne s’écrit pas à la va-vite, il faut prendre le temps d’apprécier chaque étape et d’être sûr du chemin qu’on prend, surtout quand il peut affecter d’autres personnes. Un an plus tard, mon choix était fait. S’il y a une possibilité, même infime, de savoir qui est à l’origine du don qui a permis ma naissance, je veux la saisir. Pourquoi ? Pour compléter l’histoire de mes origines, mais aussi pour me prouver que ma conception n’est pas qu’un parcours médical douloureux, c’est également une histoire humaine, une histoire de générosité, voire même de sororité.
J’ai donc commandé un test ADN et entamé la longue attente entre l’envoi des échantillons et la réception des résultats. Lorsque ceux-ci sont enfin apparus sur l’écran de mon smartphone, mon cœur battait la chamade. Je suis bien à moitié portugaise. Et si je ne suis effectivement pas sicilienne, j’ai découvert avec stupéfaction que l’autre moitié de mon ADN est tout de même bien « rital » ! L’outil a même identifié que plus de 20% de mon patrimoine génétique viendrait de Sardaigne. Cette découverte m’a bouleversée. D’abord parce que j’étais profondément heureuse de sentir une connexion géographique avec ma mère. Ensuite parce que je me suis rendu compte que je ne connaissais absolument rien de la Sardaigne. Ce qui avant n’était pour moi qu’une île entre la Corse et la Sicile est aujourd’hui devenu l’un des décors de l’histoire de mon ADN. Je sais que j’ai des heures de lecture devant moi, voire des visites à prévoir pour découvrir ce nouveau monde, et j’en suis tout excitée !
Non, je n’ai pas encore trouvé celle à qui je dois ce nouveau patrimoine génétique, peut-être ne la trouverai-je jamais. Et si je la trouve un jour, je ne sais pas encore ce que nous pourrons nous dire, mais j’espère qu’elle acceptera de me raconter un peu l’histoire de ses origines à elle.
Je pense que je me sentirai toujours autant dans l’imposture, que je me dise sarde, sicilienne ou portugaise. Mais qu’importe ! Ce que j’ai compris, c’est que la réponse à cette question est bien trop complexe pour se résumer en une phrase, surtout dans mon cas. Alors j’irai au plus simple la plupart du temps, mais quand j’en aurais envie, je pourrais aussi y répondre vraiment, sans en avoir honte et en prenant tous les détours possibles, parce qu’aujourd’hui je les connais.
S’il y a bien quelque chose que ces dernières années m’ont appris, c’est que l’humain a besoin de se raconter. Il a besoin d’une histoire bien à lui, aussi inhabituelle et étonnante qu’elle soit, pour donner un sens à son existence.