14 juillet 2020, 18h36 : J’ai passé une bonne partie de la journée à consulter mon compte MyHeritage avec fébrilité. C’est pourtant un message de celui que je peux enfin appeler mon demi-frère (génétique) qui me confirme notre lien : nous partageons 26,1% d’ADN.
Je ressens un grand soulagement. Ces derniers mois, et en particulier ces dernières heures, ont été tendus. Comment ne pas l’être lorsqu’on est sur le chemin de la réponse à la question que l’on se pose consciemment depuis douze ans, inconsciemment sans doute depuis bien plus longtemps ? A savoir : qui est l’homme qui m’a donné la vie ? A quoi ressemble-t-il ? Quelles étaient ses motivations ? ses goûts ? quel père a-t-il été pour ses enfants ? …
Je considère que je suis avant tout le « produit » de mes parents. S’ils ne s’étaient pas rencontrés, n’avaient pas décidé de faire un enfant ensemble, je n’aurais jamais été conçue. Je les aime et ne souhaite pas en changer, ni en obtenir de supplémentaires. Toutefois, sans le don de sperme de mon géniteur, je ne serais pas là non plus, mes parents auraient eu un autre enfant.
Pendant longtemps, je n’ai pas cherché à savoir. Cela ne me semblait pas capital, m’apparaissait comme un détail de ma vie. C’est ma grossesse qui m’a décidée. Difficile de ne pas se demander d’où l’on vient lorsqu’on s’apprête soi-même à donner la vie… J’allais transmettre 50% d’un patrimoine génétique en partie inconnu… Cela ne m’inquiétait pas particulièrement, je me sentais étonnamment confiante, mais cela aiguisait ma curiosité. J’avais besoin de savoir.
Quelques mois après la naissance de mon fils, j’ai rejoint l’association PMAnonyme. Rencontrer d’autres personnes conçues par don, partager mon histoire et mon ressenti, entendre le leur m’a fait beaucoup de bien. Quelques semaines plus tard, je réalise mon premier test ADN. Plusieurs mois et autres tests ensuite, grâce au site généalogique Filae, je trouve la trace de mes arrière-arrière-grands-parents biologiques, les arrière-grands-parents de mes deux correspondances ADN les plus importantes (plus d’1%). À partir de là, je me dis que je vais trouver, ce n’est qu’une question de temps.
Une fausse piste et beaucoup de vaines recherches après, j’ai une hypothèse que je trouve plausible. Une toute petite correspondance ADN partage des ancêtres avec certains descendants du couple d’arrière-arrière-grands-parents identifié. Parmi ces descendants, un homme, aujourd’hui décédé, a vécu dans la ville où j’ai été conçue.
Je mets plusieurs mois à me décider à contacter le cadet de ses deux fils, que j’ai facilement trouvé sur le web (pour l’aîné, je suis moins sûre que c’est bien lui). Je prends mon temps, regarde leurs photos sur différents sites, traque les ressemblances entre leur visage et le mien… Je me prépare psychologiquement.
Au bout d’un moment, je sens que je suis prête. Je n’en peux tout simplement plus d’attendre, de laisser passer plus de temps encore que celui que nous avons déjà perdu malgré nous. Je prends le temps de rédiger un long message pour exposer ma situation, résumer brièvement mon histoire, ma recherche, mes attentes (notamment « je ne recherche pas un père, j’en ai déjà un »). Je finis par l’envoyer, et m’attends à attendre un moment. Des jours, des semaines peut-être…
Moins de trois heures après, il me répond. Il se dit profondément touché, bouleversé même. Oui, son père a donné son sperme et avait expliqué son geste à ses enfants. Il avait environ 14 ans et s’en souvient très bien. Il serait ravi de discuter avec moi et même de me rencontrer, et son frère aussi…
Ce premier contact a lieu un an à peine après mon premier test ADN.
Aujourd’hui, huit mois après ce premier échange, je me sens à la fois plus sereine et toujours fébrile. Mes demi-frères et le reste de leur famille sont très accueillants. Malgré les années qui nous séparent (à la fois par notre différence d’âge et le temps que nous avons vécu sans nous connaître), je me sens déjà étonnamment proche d’eux. À travers eux, je découvre peu à peu l’homme dont je suis biologiquement issue : récits, photos, anecdotes… De petites pièces de puzzle qui s’assemblent. C’était un homme aimé de ses proches, particulièrement curieux et ouvert aux autres, qui a donné son sperme par simple générosité.
Ce n’est pas facile de découvrir si tardivement une partie de ses origines, et donc de soi, si sympathique, ouverte et attachante soit-elle. On a l’impression de ne plus s’appartenir tout à fait, que les autres en savent finalement plus que nous sur une partie de notre identité.
Malgré tout, je me sens heureuse et exaltée. J’ai vu plusieurs fois mes demi-frères génétiques et nous commençons à tisser des liens. En dépit de mes doutes, j’ai réussi à en parler à mes parents, qui comprennent ma quête et sont contents pour moi.
Mais l’histoire n’est pas finie. Il faudra beaucoup de temps, de mots, de moments partagés pour parvenir à vraiment se connaître. Approfondir ces nouveaux liens tout en en apprenant davantage sur mes ancêtres biologiques. La quête achevée, la suite de mon histoire, et notre histoire commune peuvent maintenant s’écrire.