Témoignages

La lune noire

La lune noire

Je suis née en 1986 dans un village bourguignon. Mes parents ont attendu de nombreuses années avant de pouvoir me tenir dans leurs bras. J’ai été désirée, aimée, choyée. Mes premières années de vie sont belles, innocentes et entourées de ma famille.

A l’âge de mes 5 ans, un petit frère arrive à la maison. Pour moi, c’est le choc, bien que je l’aime. Je ne me souviens pas pourquoi, mais je développe ensuite des troubles du comportement, qui vont s’exprimer de plusieurs façons au cours de ma vie. Mes parents ont fait leur possible pour m’aider, m’accompagner chez le psy… mais le malaise perdure.

Je sens que quelque chose sonne faux autour de moi, finissant par me demander si ce n’est pas moi le problème. Suis-je dans la bonne famille ? échangée à la naissance…Mais non, je ressemble à maman… Et mon frère avec qui je ne vois pas de ressemblances, est-il adopté ? Le fils du facteur comme j’aime tant le taquiner avec cette idée ?

Les années passent et je profite de la vie, mes amis, mes études, ma rencontre avec mon mari, les enfants, le chien…. Je me porte bien, mais l’ombre du malaise est toujours là.

Pour mes 32 ans, je reçois comme cadeau, une consultation en astrologie, offerte par mes amies. J’arrive à ce rdv avec pleins d’aprioris et de curiosités. Je découvre alors une approche complexe qui me parle et me plait beaucoup. J’apprends des informations sur moi, les qualités et points à développer. Et une petite phrase reste gravée dans ma tête : « Il y a une lune noire, un secret dans le domaine de la santé du côté de votre père » …. La graine est semée…

Durant ces quatre dernières années, je décide de prendre le chemin du développement personnel et apprendre à me connaitre afin de mieux vivre mon présent. Point de départ : Pourquoi ai-je eu un traumatisme émotionnel à 5 ans ? Je m’appuie surtout sur des approches ésotériques et je récolte au fil du temps des informations et des pièces pour assembler le puzzle de ma vie. Mon enfance, les non-dits, les histoires de famille, les évènements en chaine, l’inconscient familial.

En juin 2022, assise sur mon canapé, je regarde à la RTS (je vis en Suisse), un reportage parlant de personnes conçues par don de sperme. Je suis très à l’écoute de ce reportage et prend plaisir à faire un arbre généalogique sur le site internet de la base de données génétique américaine.  Ce jour-là, il y a une promotion pour commander un test ADN. Allons-y ! Je suis curieuse de connaitre mes origines ethniques et retrouver des cousins lointains de mon oncle voyageur ou ma grand-mère portugaise. J’ai le sentiment de ne pas connaitre tous les membres de ma famille.

Les résultats arrivent le 1er août 2022. Je suis bretonne à 42% et 30% italienne…curieux, il n‘y a ni bretons ni italiens dans la famille. Puis l’écran de mon téléphone affiche que mon ADN correspond avec 5 personnes faisant partie de mon entourage proche. Mais qui a déjà fait ce test dans la famille ?

Première personne, photo à l’appui, Jacques, 49.8%, relation : Père

Deuxième personne, avec photo, Alexandre, 24.2%, relation : Demi-frère

Puis trois demi-oncles….

C’est le choc, je ne comprends pas. Il y a dû avoir une erreur, c’est une arnaque. « Ne leur donne pas de l’argent » me dira mon copain. Je redémarre téléphone et ordinateur, les résultats n’ont pas changé…. « Père ».

Je prends mon courage à deux mains, et j’écris à ce demi-frère. Il me raconte tout…sa vie, sa conception et bien sûr, notre géniteur. Avec Alexandre nous avons un mois d’écart, né dans la même ville, grandi à 20km l’un de l’autre, une ressemblance physique folle. Mon cœur chavire, je découvre un demi-frère, un double de moi, avec tant de points communs. Le reportage qui m’a poussé à faire ce test Adn est le reportage auquel il a participé avec Jacques. Je les ai vu…avant de savoir qui ils étaient. 

Le feu d’artifice du 1er août, fête nationale Suisse, a eu un tout autre sens ce jour-là. Le feu d’artifice était dans ma tête, dans mon corps. Ça explosait de partout, et je ne savais pas ce qui allait rester debout. 

La discussion s’engage avec Alexandre et Jacques qui sont ravis de mon arrivée. J’ai du mal à y croire, l’infertilité de mon père, le Cecos du Kremlin-Bicêtre, l’insémination artificielle, le secret…ce lourd secret de 36 ans. J’accepte cette histoire le jeudi 4 août au matin, quand je reçois une photo de Jacques enfant (celle en noir et blanc )qui illustre ce témoignage et la compare à celle de moi au même âge (en couleur), c’est la photo de la vérité.

J’ai la chance que cette pièce du puzzle si importante me soit offerte. Alexandre a fourni un énorme travail de recherches qui a conduit à découvrir notre géniteur, construire les arbres généalogiques… J’ai des photos, des histoires, une part de moi est devant moi maintenant. 

Il s’en est suivi la discussion avec mes parents le samedi. Je me suis préparée à leur expliquer ma découverte en expliquant mon histoire à des amis pour me l’approprier. J’ai imaginé plein de scénarios possibles : le déni, le refus, la colère. J’avais la boule au ventre, la peur qu’ils me rejettent. Suite au repas du midi, alors que je souhaitais parler le soir, mes parents ont demandé à nos conjoints et mes enfants de sortir afin d’être quatre autour de la table. La tension était palpable, l’air lourd. Ma mère a commencé en disant qu’ils voulaient nous parler de notre conception. Mon père a pris la parole pour nous dire « Je ne suis peut-être pas votre père ». Je l’ai pris dans mes bras, en larmes. Je lui ai dit que je savais, que je l’aimais, que c’était mon papa, qu’il fallait qu’il se pardonne, qu’il soit fier de lui car moi je le suis. Et j’ai pu lui confirmer que non, il n’était pas mon géniteur et faire éclater 37 ans de doutes dans lequel mon père a vécu. A l’époque, on conseillait aux hommes qui n’étaient pas 100% stériles de continuer les rapports sexuels pendant les périodes d’insémination. Au cas où… contraignant encore plus les couples au silence jusqu’à « oublier tout ça » comme il m’a dit. Une dissociation psychique pour se protéger. Nous avons ensuite discuté de leur histoire, leur parcours, leur soulagement, leurs blessures. Quelques jours plus tôt, ma belle-sœur a posé une question générale à ma mère sur notre conception et elle a craqué au téléphone et a avoué le secret. J’ai partagé à ma mère mes réflexions personnelles, mes indices, l’astrologue, mon test Adn…elle me savait sur la piste et que la vérité allait éclater. La discussion devait se produire ce jour-là, par eux ou par moi… Ils ont saisi leur dernière chance. 

J’aime mes parents. Je suis très fière d’eux et du parcours qu’ils ont entrepris. Mon père est mon père pour toujours, mon frère est toujours mon frère. 

Les semaines passent et je construis ma vie sur de nouvelles bases, dans la vérité et la bienveillance. C’est une renaissance où je me sens entière avec un pilier supplémentaire, l’histoire de Jacques. 

Avec Alexandre, nous nous sommes rencontrés quelques semaines après. C’est très perturbant de se voir, comme une réalité parallèle. Mais c’est le bonheur de découvrir un ami qui prend au fur et à mesure la place d’un frère. Il porte en lui une part de moi.

J’ai rencontré Jacques à l’occasion d’une réunion associative. C’est agréable de discuter l’un en face de l’autre et partager nos histoires et nos vies. Il m’a parlé de ses filles, ses loisirs, son parcours de vie.

Je suis ravie de toutes ces belles opportunités que la vie m’offre. Je prends le meilleur. La vie m’a appris que l’amour ne se partage pas, il se multiplie. Chacun à sa place et moi enfin à la mienne.

 

Le sourire

Le sourire

Ce sourire, c’est celui que tout enfant qui nait possède au début de sa vie, c’est l’insouciance, la légèreté, la simplicité.

Il a rapidement disparu de mon visage quand maman nous a laissé.

Et je sais que pour toi ça a été la même chose.

Tu t’es réfugié dans ton travail, je me suis réfugié dans ma chambre et la solitude.

Nous n’avons jamais parlé de maman ensemble, quand elle est partie, c’est comme si elle avait disparu de notre vie, qu’elle n’avait jamais vraiment existé.

Pas de photo dans la maison, plus un mot sur elle.

Plus les années passaient, plus son souvenir s’effaçait.

Il restait là quelques photos dans une boite, que je regardais régulièrement.

C’était donc ça ma vie d’avant ? Qu’ai-je donc fait pour mériter ça ?

La solitude m’a accompagné durant toute mon évolution.

Puis la vie m’a attiré dans son rythme effréné.

J’allais être père, comme toi, mais la nouvelle ne t’a pas réjoui, je n’ai pas compris.

Tu ne m’as pas adressé un mot pendant cette grossesse, mais tu as été le premier à être là à accueillir mon fils à la maternité, à l’accueillir dans ta vie.

Malheureusement, maman t’a rappelé à elle, toujours trop vite.

J’ai ramé pendant des années pour trier et vider ce que tu as mis une vie à construire.

A la fin de ce travail, j’ai appris sur cette feuille rose et ces mots froids, qu’il est impossible que je sois issu de toi.

Mon sourire c’est d’autant plus brisé, je ne savais plus qui j’étais.

J’aurais voulu pouvoir en parler avec toi, te rassurer, parler de ton histoire, de mon histoire, te poser toutes ces questions que je n’ai jamais osé poser, et toutes ces nouvelles questions qui me viennent en tête.

Je devais avancer malgré tout, j’ai trouvé du soutien, beaucoup de soutien, des personnes qui partageaient ma quête.

Je devais trouver cet homme coûte que coûte.

J’ai continué de ramer, et ramer encore, j’étais dans une impasse, et la les planètes se sont alignées. Y êtes-vous pour quelque chose ?

Je l’ai trouvé !

Tu l’aurais apprécié j’en suis sûr, pas de concours entre vous, vous êtes tous les deux importants pour moi.

Il m’a parlé de son histoire, que je porte en partie en moi, j’ai des points communs avec toi, comme j’ai des points communs avec lui.

Il n’y a pas que vous deux dans cette histoire, il y a elles, ses deux filles et également les enfants de celles-ci.

Elles sont merveilleuses, si tu voyais l’alchimie entre leurs enfants et tes petits enfants.

Et depuis ce 1er août 2022, il y a également elle, cette jumelle de vie, ce moi au féminin que j’apprends à connaitre chaque jour qui passe, sans jamais me lasser, nos histoires ont tellement de similitudes.

D’ailleurs tu vas être grand père d’une petite fille, je lui parlerais de toi et de maman, elle portera le prénom de maman comme ton premier petit fils porte ton prénom.

Avec elles, avec lui, avec eux, mon sourire revient petit à petit, et je prends cette nouvelle page blanche comme une vraie chance.

Je pense à toi, à elle, à chaque seconde.

Le chat noir

Le chat noir

Une tendre enfance au milieu des pins
entre les landes et la gironde
au milieu des écumes de sel, du sable, de la foret
entourée de mes meilleurs amis et de joie de vivre

Une adolescence un peu embrumée
par un malaise indicible

Un début d’age adulte ou des moments d’angoisse et de dépression
ternissent parfois ma vie
puis une vérité qui rejaillit
par mes parents me voyant dans le désarroi
d’abord la surprise
car la réalité vient effleurer le subconscient
puis l’inconnu qu’il faut affronter
comme si il avait toujours était là
latent
devant ton miroir

Je me cherche, toujours ne sachant vers ou avancer
le sport m’aide a évacuer
mais je me teste en allant plus loin pour affronter mes peurs
et vérifier si je suis toujours debout ou si je m’effondre

La psychotherapie dure un an deux ans
j’ai l’impression de me cacher lorsque j’y vais
parfois je m’y perds et j’ai l’impression d’aller plus mal
de me mélanger, de perdre l’ordre de mes pensées

Vers l’age de 23 ans je ne serais plus dire ni comment ni pourquoi
je décide de trouver le professeur qui est à l’origine de ma naissance
il me reçoit
m’explique que je suis le premier IAD a venir le trouver
et qu’il me sera impossible de retrouver mon géniteur
le don de sperme est anonyme.
Mon seul recours : le tribunal administratif
beaucoup d’énergie pour aucun résultat
mais dans la discussion il me glisse une phrase : les donneurs étaient dans la plus part des cas des étudiants en médecine.

Le temps passe et je me retrouve en contact avec une association qui milite pour l’accès aux origines
je fais quelques articles dans les journaux pour parler de moi et faire avancer les choses
mon père me soutient et a la lecture de mes articles m’écrit quelques mots,
 je les ai gardés précieusement :
« mon cher felix
beaucoup d’émotion a la lecture de l’excellent article autobiographique te concernant
j’admire ton obstination dans ta quête de l’impossible
qui va au delà de ta propre personne
ton témoignage au combien spontané
doit pouvoir réconforter un grand nombre de ceux qui sont dans une situation semblable… ».
sur le devant de la carte qu’il m’avait écris
un proverbe chinois
« il est difficile d’attraper un chat noir
dans une pièce sombre
surtout lorsqu’il n’y est pas. »

Entre 25 et trente ans j’apprend
qu’il faut aussi savoir arrêter de chercher et continuer a vivre
de petites choses positives amènent a une vie plus facile
finalement ils avaient surement raison
mon père et ce médecin sans lequel je ne serais pas là
cette quête est vaine et peut être futile.

Je rencontre ma compagne
et deux magnifiques enfants
arrivent quelques années plus tard
Mon père décède quelques temps après
d’une maladie génétique qu’il ne m’aura pas transmise
malgré son caractère colérique
et nos relations conflictuelles
je retiens encore aujourd’hui l’amour qu’il m’a donné.

Le temps passe
et j’avance accompagné
de ma famille.

Mes enfants grandissent
jusqu’au jour ou je décide
de leur expliquer les conditions de ma naissance
pas de secret entre nous
la clarté, les discussions
sont les clefs de l’épanouissement

Ils sont curieux
posent de nombreuses questions
et tout se fait naturellement

puis un jour l’association reprend contact avec moi
on me parle des tests adn
d’abord un peu frileux moi qui avait fait un trait sur tout ça
je me dis pourquoi pas

je m’inscris sur plusieurs sites en suivant les conseils avisés
des experts de l’association
je me prends au jeu
je découvre mes résultats
et m’initie à  la généalogie génétique
essaye de remonter les arbres de mes matchs
pour retrouver mes origines

un an, deux ans, des mails envoyés a des cousins éloignés
mais pas de réponses probantes
je m’obstine et regarde toutes les semaines si des matchs interessants apparaissent.
Mais rien n’arrive sur mon écran
Alors je lâche du lest
et me concentre sur ma vie de famille.

Deux jours avant Noël 2018
Je m’assoie devant l’ordinateur
et ouvre le site my heritage
un clic, ma vie bascule…

je découvre que j’ai un demi frère
on s’écrit, il ne comprend pas.
Alors je patiente
et deux semaines après les fêtes
son père me répond que son fils n’était pas au courant
et qu’il avait été donneur dans les années 70.
je découvre une personne bienveillante qui m’éclaire sur sa vie
ses origines et me fait parvenir des photos de lui.
La ressemblance est frappante.
On correspond pendant plusieurs mois
comme si chacun d’entre nous en avait besoin
résumant à notre manière, a l’autre, nos histoires de vie.

Six mois après il me propose qu’on se rencontre.
Je me souviendrais d’abord de ce premier instant,
ou avançant vers lui, nos yeux se sont croisés et ou j’ai compris
qui j’étais à travers son regard.

On s’est embrassé, on a longuement discuté
j’ai pu voir les photos de sa famille
et toute mon histoire a pris un sens ce jour là.

Nous sommes toujours en contact et on espère se rencontrer de nouveau.
Peu de temps après j’ai découvert une demi sœur née par iad, et nos chemins vont peut être se croiser prochainement en tout cas je l’espère.

Finalement il n’y a jamais eu d’étudiant médecin donneur, ni de chat noir a trouver dans une pièce sombre, il y a juste une vérité dans mon histoire, celle de l’amour d’un père pour son fils qui n’était pas le sien et celle de la bienveillance d’un père biologique pour que cet amour et que cette histoire puisse exister.

Coralie, en parcours PMA avec don de gamètes

Coralie, en parcours PMA avec don de gamètes

Je m’appelle Coralie et j’ai commencé les examens pour une PMA avec don il y a un an et demi.

Ma FIV est aujourd’hui planifiée pour juillet mais j’ai décidé de la faire à l’étranger là où les dons ne sont pas anonymes.

L’accès aux origines a toujours été pour moi un point primordial dans la mesure où je veux laisser à mon enfant la possibilité de savoir d’où il vient.

C’est un choix très personnel que j’ai la chance de pouvoir me permettre car en France, malheureusement, ce n’est pas encore tout à fait ça.

Le donneur transmet la moitié de son patrimoine génétique à l’enfant et ce point d’interrogation, cette pièce inconnue, ne pose pas les mêmes questions à chaque enfant et à chaque adulte devenu grand.

En France, la politique du don anonyme a longtemps primé cependant ce principe ne respectait pas le droit aux origines ce qui a valu à notre pays une injonction au changement.

À partir de septembre 2022, tous les donneurs devront donc accepter de communiquer leurs informations identifiantes aux enfants issus de leurs dons.

Cette nouvelle banque de gamètes ne sera cependant pas utilisée tout de suite et les enfants, une fois majeurs, devront passer par une commission qui contactera le donneur pour savoir s’il souhaite communiquer son identité.

Mais qu’en est-il de l’enfant qui demandera ces informations et à qui le donneur répondra  »non » ? Je pense que les donneurs devraient être interrogés aujourd’hui et non dans 18 ans afin que les familles puissent prendre des décisions éclairées et expliquer les choses clairement à l’enfant.

Pour moi, un peut être a la possibilité d’être destructeur.

Je salue les progrès de la France car la loi progresse mais à mon sens, cela laisse un peut être qui ne devrait pas exister.

Bernard, papa de deux enfants conçus par don de sperme

Bernard, papa de deux enfants conçus par don de sperme

Je suis un père de deux enfants âgés respectivement de 18 et 16 ans.

Avec mon épouse, nous avons choisi d’entreprendre les démarches de PMA en faisant appel à l’IAD (insémination artificielle avec donneur) en 2003 puisque nos tentatives étaient infructueuses.

Ce fut un parcours du combattant, mais finalement, suite aux dons de gamètes, encadrés par le CECOS de Rennes, nous fûmes heureux d’accueillir ces deux petits anges.

Nous aurions aimé à l’époque, donner aux futurs bambins en devenir la possibilité à leur majorité, de connaître leurs géniteurs.

Nous ne leur avons jamais caché leur conception. Depuis leur naissance, nous leur avons expliqué avec des mots simples la manière dont ils sont venus au monde.

Actuellement, ils nous ont indiqué qu’ils souhaiteraient connaître leurs donneurs pour découvrir leurs origines mais ne souhaitent en aucune manière me remplacer. Ils me le montrent chaque jour.

Nous sommes évidemment disponibles pour les accompagner dans cette aventure.

Ils parlent librement de ce sujet sans tabou à la maison et semblent vivre une existence épanouie.

Je n’ai pas eu la chance d’en parler avec lui…

Je n’ai pas eu la chance d’en parler avec lui…

Je m’appelle Marion et je suis née en 1990 à Lille via le CECOS. J’ai appris mon mode de conception tardivement. C’était en janvier 2018, j’avais 27ans et je questionnais ma mère à propos de mes antécédents familiaux en vue d’une consultation gastro. La discussion commençait à virer au harcèlement parce qu’elle esquivait mes questions depuis des semaines. Je savais que mon père, qui est décédé lorsque j’avais 20 ans d’un cancer, avait des frères décédés de cancers du côlon. J’insistais donc pour avoir des infos là-dessus et je ne voulais pas entendre qu’elle me dise ne plus se souvenir de l’âge approximatif auquel est décédé l’oncle Robert, alors qu’il y avait des photos de lui partout dans la maison ! C’est là que la bombe a été lâché « ton père n’est pas ton père ». Je n’ai pas compris tout de suite, je lui ai demandé des précisions. Elle m’a expliqué que j’étais issue d’un don de sperme.

Ma première réaction a été un immense soulagement. Puis j’ai été blessée qu’elle me dise que mon père ne l’était pas. C’était MON père, point. Et puis déçue aussi. Déçue de n’avoir jamais pu en parler avec lui, mon père, et que l’on m’ai menti tout ce temps.

Le soulagement c’est parce que je savais qu’il y avait un truc pas clair, un secret de famille, je l’ai toujours sentie. Vers 8 ans, quand on feuilletait les albums photos chez ma mamie, je me demandais pourquoi je ne ressemblais à aucun de mes parents alors que mon frère, cadet de 3 ans, était le portrait craché de ma mère lorsqu’elle était enfant. J’avais demandé à ma mamie si j’étais adoptée. Elle a dû rechercher une photo datée de ma mère enceinte pour calmer mes ardeurs. Puis au collège, en voulant photocopier le livret de famille pour une sortie de classe, j’ai découvert que mon père était divorcé. J’ai cru mettre le doigt sur ce truc pesant que je ressentais depuis longtemps. J’ai fouillé dans les papiers « Aucun enfant n’est né de cette union ». Avec le recul je m’aperçois aujourd’hui que la stérilité de mon père a dû peser dans sa vie bien avant qu’on ne naisse. Enfin, au lycée en SVT, pendant son cours sur les chromosomes, le prof a fait une parenthèse : il nous a parlé des inséminations artificielles qui existent depuis les années 80. Je savais que mes parents nous avaient eu tard pour l’époque : 34/37 ans pour ma mère et 40/43 ans pour mon père. Je savais aussi que j’avais échappé au prénom de Désirée, ça m’a remis la puce à l’oreille.  En rentrant au soir j’ai demandé à mes parents « Est-ce qu’on est issus d’une insémination artificielle ? ». Un blanc puis la réponse de ma mère « Oui, mais pourquoi tu demandes ça ? ». Mon père n’a pas pipé mot. Je n’ai pas pensé à observer sa réaction à l’époque parce que j’étais persuadée que le « problème » venait de ma mère. Elle avait des soucis gynéco et je me trouvais malgré tout d’avantage de ressemblance physique avec mon père qu’avec ma mère : les cheveux noirs, une tâche de naissance sur le ventre…  J’insiste encore « mais du coup on est issus de vous deux ? ». Ma mère s’emporte un peu « Mais oui enfin ! tu en poses des questions ! ». Aujourd’hui je lui en veux encore de m’avoir menti alors que je lui ai posé la question clairement. Même si je comprends que ça aurait pu être compliqué pour mon frère, 12 ans à l’époque, d’encaisser la nouvelle mais quand même… J’ai ce regret de n’avoir jamais pu évoquer la chose avec mon père. Quand j’y pense il y a des tas de réactions de sa part, des moments de malaises que je comprends maintenant et que nous n’aurions pas du vivre. Je ne peux qu’imaginer à quel point ça a dû être pesant pour eux de garder ça secret. Je reste persuadée qu’ils auraient été libérés d’un poids si j’avais eu l’occasion de lui dire à quel point ça ne change rien pour moi.

Lorsque ma mère me l’a annoncé, j’ai demandé si on avait le même donneur mon frère et moi. Elle m’a répondu par l’affirmative puis « enfin je pense ». Je lui ai demandé si elle comptait le dire à mon frère « Peut être sur mon lit de mort ». J’ai dû la convaincre d’en parler elle-même à mon frère, estimant que ce n’était pas à moi de le lui dire et refusant de faire partie de ce mensonge. Elle m’a demandé de ne pas en parler autour de moi, je lui ai répondu que c’était mon histoire et que j’avais besoin d’en discuter avec mes amis proches, ce que j’ai fait.

Ma mère ne le savait pas encore à l’époque mais je venais d’apprendre que j’étais enceinte, je me suis donc demandé ce que j’allais transmettre à mon enfant. J’étais soulagée de savoir que je n’avais pas d’antécédent de cancer du côlon, mais j’avais peut-être bien pire dans mon patrimoine génétique ? Je me suis donc renseignée. Ok, ils font passer aux donneurs des questionnaires sur les antécédents médicaux, mais s’ils déclarent un truc horrible après leur don ? Genre une maladie génétique, une myopathie ? Le don est fait donc c’est trop tard ? Est-ce que les CECOS contacte les enfants ? Je suis infirmière, c’est peut-être une déformation professionnelle que de penser à tout ça. Quand j’ai su que en tant qu’enfant IAD (issue d’une Insémination Artificielle avec Donneur) nous n’avions aucun droit, mis à part de vivre, ça m’a mise en colère.

Les parents ont le droit aux dons et aux inséminations. Les donneurs ont le droit à l’anonymat. Et les enfants ? « Estimez-vous heureux d’être là » qu’on entend. « Vos parents c’est ceux qui vous ont élevés, pourquoi chercher ? ». Evidemment que nos parents restent nos parents ! Mais savoir que quelque part il y a un dossier avec plein d’informations sur ce qui fait 50% de notre être et qu’on n’a juste PAS LE DROIT d’y avoir accès, moi ça m’énerve ! Quelques mois après la naissance de mon fils, j’ai décidé de faire un test ADN « récréatif », ceux dont on voit la pub à la télévision bien qu’ils soient interdits en France. J’ai trouvé des cousins plus ou moins éloignés et une demi-sœur du même âge que moi. A coup sûre une IAD. J’ai voulu la contacter pour avoir des informations, supposant qu’elle était elle au courant de son mode de conception puisqu’elle avait fait un test ADN, mais non. Je lui ai donc appris la nouvelle malgré moi. Heureusement que j’avais pris des pincettes grâce aux conseils de l’association des PMAnonyme, que j’avais découvert en effectuant une recherche Google. Ils ont été d’un immense réconfort. Je me suis sentie soutenue, comprise et légitime de me poser toutes ses questions. J’ai fini par avoir des nouvelles de ma demie quelques mois après, le temps pour elle de digérer l’information. Comme elle ressemble à sa mère, elle ne s’est jamais posée de question et avait fait le test ADN pour le fun. On s’est rajouté sur les réseaux sociaux et pour l’instant ça en est resté là. Elle a peur de blesser son père, ce que je peux comprendre. Peut-être que l’on se verra un jour, on n’habite pas très loin mais pour l’instant ce n’est pas d’actualité.

En faisant le test, je n’ai pas osé prendre l’option « prédispositions génétiques » de peur de m’inquiéter inutilement pour mon fils. Grace à l’aide de l’adhérente d’une association, nous avions retrouvé mes arrière-grands-parents. Ça s’est arrêté là.

Puis en janvier 2021 alors que j’avais un peu lâché l’affaire, une pub est repassée à la télévision « faites revivre vos photos ». Avant d’aller au lit, je retrouve et ouvre l’application pour voir s’il y a du nouveau. Au lieu des deux parentés proches (mon frère et ma demie), j’en ai trois : « Jacques, relation estimée « père », ADN partagé 49,9% ». C’est le choc, l’excitation, l’impression d’avoir trouvé le Graal ! J’ai envoyé un message à Delphine, sa fille qui gère le compte. Elle attendait que je les contacte. Deux jours après j’ai Jacques au téléphone, c’est lui qui m’appelle. J’avais trop peur de le déranger. J’ai du mal à réaliser. Jacques est hyper-sympa, avenant. Il m’explique qu’il a pris la décision de faire un don parce que son demi-frère ne parvenait pas à avoir d’enfant. Il me donne plein d’informations sur mes antécédents « familiaux ». Il m’explique que lui-même ne connaissait pas son géniteur, qu’il l’a rencontré sur le tard. Un RDV est pris pour une rencontre. Lui et sa femme sont très chaleureux, ils me mettent à l’aise. En discutant il m’explique son parcours de vie et je le découvre, il est plutôt loquace, tout le contraire de mes deux parents. Il a « la niaque », un caractère bien trempé et il n’est pas langue de bois. Je me découvre des traits de caractères en commun. C’est surprenant, je ne m’attendais pas à ça, c’est au-delà de mes espérances. On parle de mes parents et de mon père. Il me montre des photos et finalement c’est encore mon frère qui lui ressemble le plus à 20 ans, c’est même impressionnant selon ma mère. Mon frère lui n’a pas souhaité le rencontrer. Jacques reste ouvert et respecte son choix. Deux de ses trois filles travaillent dans la même branche que moi, ça nécessite beaucoup d’empathie. Je trouve ça intrigant, c’est peut-être héréditaire ? Aujourd’hui on s’échange régulièrement des nouvelles, j’ai l’impression qu’il fait un peu partie de ma famille bien qu’il m’est impossible de le mettre au même niveau que mon père. Ça serait plus comme un oncle retrouvé.

Finalement je suis très heureuse d’être une enfant issue de don. J’ai été désirée et aimée par mes deux parents. Et je peux me vanter d’avoir un arbre généalogique à trois branches. La rencontre de Jacques a permis d’apaiser mes craintes et interrogations. Cette année, mon mari a décidé de lui-même de donner au CECOS, je suis très fière de lui et de sa démarche. Comme on est au clair sur la notion de don et de non-filiation, il va donner de manière non-anonyme afin que les enfants IAD puissent avoir réponses à leurs questions plus tard, s’ils le souhaitent.

La rencontre à point nommé

La rencontre à point nommé

Je suis né à Tunis en 1978 d’un père tunisien et d’une mère française. Il paraît que j’ai été désiré. Je suis fils unique.
Durant dix huit ans, je suis bien entouré et dois toujours répondre de mon apparence pas très maghrébine. Toujours à devoir se justifier, à être moitié tunisien, moitié français. Un assemblage de moitiés.
Très jeune, je soupçonnais une anomalie, que je ne pouvais expliquer.
En me regardant dans la glace, je pouvais déceler des ressemblances avec ma mère, mais aucune avec mon père.
Il m’est arrivé que l’idée de l’adultère traverse mon esprit, et en ressorte aussi tôt. Je ne détenais aucune explication rationnelle à ce constat. J’ai composé avec cet état de fait.
A vingt ans, mon père décède d’une tumeur.  Je vis alors à Paris, étudiant dans le même domaine que le sien.
Les années qui vont suivre seront compliquées. Je fais les mêmes études mais n’aspire pas à exercer la profession de la même manière. Un besoin de rupture dans la continuité.
A travers les proches et la famille, je sens bien l’encouragement à être dans les pas de mon père.
Ce dernier était un grand bonhomme, qui a œuvré, avec un dévouement sans comparaison aucune, pour son pays et son champ d’activité.
J’en étais l’héritier sans vouloir l’être. Chose banale.
Lors de son décès, j’étais surtout triste pour ma mère. J’étais trop jeune pour mesurer ses qualités humaines. C’est à travers le témoignage de ses étudiants, proches, que j’ai eu le sentiment de mieux le connaître. L’adolescence n’étant pas propice à cela.

Mes études se finissent, le temps s’écoule, je travaille… Et je suis à la veille de mes quarante ans.

Un soir à Paris, je croise le chemin d’une jeune femme qui me raconte comment elle a découvert que son père n’était pas son géniteur et que ce dernier a pris contact avec elle. Elle me raconte des choses…qui réveillent des doutes enfouis en moi.

Concours de circonstances : quelques jours plus tard, je suis amené à prendre une décision importante dans mon travail et rompre avec mon associé.
Ce même jour, pour en faire part à ma mère, une question connexe fuse avec spontanéité :
–    Est ce que mon père est mon père ?
–    Oui, bien entendu que c’est ton père.
–    Je reformule la question : est ce que mon père est mon géniteur ?
–    Silence …

Là, j’ai saisis que je touchais à une vérité importante.
Là, je découvrais que j’ai été conçu par PMA avec tiers donneur au sein d’un CECOS.
Là, je découvrais ce que signifiait un CECOS.
Là, à l’ère d’internet, j’interrogeais mon moteur de recherche.

Très vite, Je parcours sur le site d’une association le témoignage de nombreuses personnes partageant mon vécu et en quête de vérité, de réponses.
Cette découverte me sera salutaire. Elle me permettra de rencontrer d’autres comme moi. De ne pas être seul, isolé dans cette quête.

J’ai envie de savoir. J’ai envie de savoir dans quelles circonstances mon « donneur » a fait ce geste. J’apprends que les CECOS avaient une charte, et que celle ci a pu être bafouée. Des témoignages ultérieurs me le confirmeront.

J’ai su que des test ADN dits « récréatifs » existaient, illégaux en France, mais seule chance de possiblement obtenir une réponse à mes interrogations.
Et si j’avais appris mon mode de conception à vingt ans ? Une époque où ces tests n’existaient pas ? Aurais je été piégé dans cette zone trouble durant des années ? Comment l’aurais je vécu ? Comment me serais je construit ?
Le fait est que je l’ai appris tard. Que j’ai brisé un secret de famille. Qu’on ne soit pas venu me le dire. A moi de saisir à présent ma vie et de tenter de me saisir d’une vérité. Qui est cette personne ? Pourquoi ce don, comment ? A quoi ressemble t elle, que je puisse me regarder plus sereinement dans la glace.

J’ai passé commande de test ADN. J’ai reçu le kit. Je devais y déposer ma salive. Une fois l’éprouvette remplie comme demandé, il fallait poster la boite. Et là, un doute m’envahit. Je m’apprête à participer à une loterie dont je ne sais si je serais gagnant d’un lot et si lot il y a, de quel lot ?
Poster ce paquet est une participation sans retour. C’est se jeter dans l’inconnu avec l’espoir de connaître, et le risque d’être déçu.

Je tente. Qui ne tente rien n’a rien. Je veux savoir, être fixé, avancer.
C’est posté. Il en sera de même pour trois tests différents, afin de maximiser mes chances d’obtenir des réponses.

L’attente est longue, mais les dés sont jetés.
Et voilà que les premiers résultats tombent. Rien de significatif. Je me contente d’observer mes origines ethniques qui n’ont aucune trace de sang arabe, moi qui porte un prénom et nom très marqué. Je m’amuse à dire que je suis un bel imposteur.

Je pars en voyage en mer oublier ces évènements qui ont chamboulés ma vie.

Une année s’écoule, durant laquelle je croise une jeune femme avec qui je me lie.

Et à l’été 2019, un nouveau résultat tombe : Un demi frère ou oncle, soit 26% d’ADN partagée. Stupeur ! Palpitations ! Il se passe quelque chose.
Je suis tout excité et inquiet. J’en fais part à ma compagne.
Sur la plateforme des tests, il y’a la possibilité d’écrire un message. Je pensais le faire le lendemain à tête reposée. Mais non, il me faut désamorcer tout doute, ou inquiétude. J’écris à la compagne de cet homme ,car elle gère son profil , pour expliquer ma situation, ma quête, mes attentes. A savoir, la volonté de connaître mes origines biologiques.

Ce jour là, j’avais identifié le fils de mon « donneur ».  Il a une sœur. Ce jour là, je n’étais plus enfant unique, j’avais un demi frère et une demi sœur.

Depuis, j’ai pu les rencontrer et un lien s’est crée, tissé avec le temps.
Je me souviens encore de la première rencontre. L’appréhension qui prédomine, la curiosité, la recherche de ressemblances, la crainte de bousculer l’autre. Comment faire ? Comment fait on ? Il n’existe pas de mode d’emploi. Est ce que cette première rencontre va s’arrêter là ou pas ?

Deux années s’écoulent, pendant lesquelles je suis amené à voir mon demi frère plus régulièrement car il travaille à Paris. Deux années qui auront aussi été marquées par la pandémie du Covid 19 qui a retardé nos projets de rencontre avec les parents.

Déjà, moi qui avais été conçu en 1978, craignais que mon « donneur » soit décédé. Ce n’était pas le cas. Vivant et bien portant, toujours avec son épouse.
Avant même de le rencontrer, j’ai su que son don était destiné à aider un couple d’amis en parcours de PMA, en accélérant leur requête. Il était marié, avait le consentement de son épouse et était père.
Sachant cela, j’étais soulagé ! Cette information était à mes yeux primordiale, bien plus que de savoir qui il est. Mais déjà, cela me disait de lui qu’il était une belle personne (ainsi que son épouse).

A l’occasion d’un déconfinement, mon « donneur » et son épouse sont venus à Paris. Et la rencontre a enfin pu avoir lieu.
Lui, qui était très attaché à l’anonymat de son geste s’est retrouvé face à moi. Il m’a redit son attachement à cet anonymat.
Mais alors que j’avais usé de manière illégale de ces tests dans une optique précise, il se trouve que son fils l’a reçu en cadeau illégalement aussi.
Nous étions tous les deux coupables.
Coupables d’une belle relation qui s’est instaurée, coupables de belles rencontres. Coupables de surprises heureuses. Coupables de vivre une belle histoire.
Et dans cette culpabilité heureuse, j’inclus son épouse, ses enfants, sa sœur, ses enfants à elle (que je n’ai pas encore rencontré à l’heure où j’écris ces lignes, mais qu’on envisage).

Le jour où j’ai brisé ce secret de famille et découvert mon mode de conception, j’ai éprouvé un soulagement furieux, une colère douce. J’avais franchis un mur.
Et me retrouve face à un autre, celui de l’anonymat.
J’ai eu la chance de séjourner seulement un an entre ces deux murs.

A présent, je peux affirmer que ces découvertes, ces rencontres m’ont apporté de l’ancrage et de l’apaisement.
Ma tunisianité acquise s’est additionné à un inné des Deux Sèvres.
A présent, je sais qui voir dans la glace.
Maintenant que je sais qui il est, à quoi il ressemble, je ne m’embête plus trop avec les termes à employer pour le désigner. « Donneur », « géniteur », « père biologique », tout me va.
Et ayant été toujours désigné comme moitié Français, moitié Tunisien, je finis par ne plus supporter le fait d’être que la moitié de quelque chose. Alors le demi frère est un frère et la demi sœur est une sœur.
Quant à mon « père biologique », je suis fier de lui. Il a fait un beau geste. Il a fait de beaux enfants qui sont de bons parents et qui ont de beaux enfants. C’est une personne sincère et droite. J’ai envie de lui dire merci au nom de mes parents, à qui il a permis la parentalité. Et récemment, je me suis interrogé sur la possible contribution à mon prénom.
Je suis surtout fier d’avoir atteint une vérité factuelle, essentielle, de l’avoir rencontrée.
C’est une manière de faire la paix avec soi même.

Je le remercie, lui, son épouse, ses enfants pour m’avoir permis cette issue heureuse, que je souhaite à toutes celles et tous ceux qui partagent cette quête de vérité et des origines.

C’est quoi tes origines ? – Adeline, 30 ans

« C’est quoi tes origines ? » Pour certains, la réponse coule de source. Ils répondent du tac au tac, plus rapides qu’un participant à Questions pour un champion. Je ne sais pas s’ils s’entraînent depuis tout petits ou si la réponse leur vient naturellement aux lèvres. De mon côté, j’ai toujours buté dessus, mais il me fallait bien échafauder une réponse, parce que parler de ses origines, c’est avant tout raconter son histoire.

Mon père est né au Portugal, ma mère en Sicile, mais est-ce pour autant que j’ai des origines portugaises et siciliennes ? Moi qui suis née en région parisienne, qui deviens écarlate au moindre rayon de soleil et qui ne sais pas dire plus de trois mots dans ces deux langues, quand vient le moment d’annoncer ces origines, je me sens l’âme d’une impostrice. Pourtant, je me fais violence en me disant que si mes origines tiennent au sang qui coule dans mes veines, alors oui, la source se trouve bien là-bas. Et puis, si je dois subir les blagues sur les Ritals et les poils des Portugaises, j’ai bien le droit de profiter aussi du potentiel exotique et romantique de ces origines !

Et puis, arrivée à l’âge adulte, alors que mon discours avait commencé à bien se rôder, voilà qu’une révélation vient tout bousculer. Ma mère m’avoue, après 28 ans de silence, qu’elle a dû avoir recours à un don d’ovocytes pour m’avoir. Le choc n’est pas si brutal, car immédiatement me reviennent plusieurs souvenirs qui commencent à s’emboîter comme les pièces d’un vieux puzzle qu’on aurait laissé prendre la poussière au grenier. Mes parents se sont rencontrés lorsqu’ils avaient 15 ans et ne m’ont eue qu’à 37 ans. Je sais qu’ils avaient entamé une procédure d’adoption avant qu’on leur parle de nouvelles possibilités de PMA. Ils m’ont parlé de FIV lorsque j’étais au collège, mais lorsque j’ai commencé à poser des questions techniques, ma mère m’a fait taire brusquement. Comme ce n’est pas dans ses habitudes, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de douloureux pour elle autour de ma naissance, et n’en ai donc plus jamais parlé.

Cela me fait du bien d’écouter ma mère me parler de tout ce qu’elle a pu traverser, de ses doutes, de ses blessures et de ses joies. À elle aussi. Elle m’avouera d’ailleurs une semaine plus tard qu’elle a l’impression qu’un poids a enfin quitté ses épaules. Pourquoi s’imposer un tel châtiment ? Et pourquoi laisser vivre son enfant dans l’idée que sa venue au monde ait pu être source de souffrance, alors que c’est tout l’inverse ? Je sais qu’il existe plusieurs réponses à celà (honte de l’infertilité, tabou du don, peur du rejet…), mais je sais aujourd’hui qu’aucune ne justifie les répercussions qu’entraîne inévitablement un tel secret.

Quoi qu’il en soit, l’histoire de mes origines commence à ressembler à quelque chose. J’ai le cerveau en ébullition, un grand sourire sur les lèvres et je n’arrive à me concentrer sur aucun autre sujet. Soudain je remarque quelque chose: il manque un chapitre à l’histoire. Ce que je viens d’apprendre, c’est que le sang qui coule dans mes veines, en fait, je n’en connaîs que la moitié. Alors je suis d’origine portugaise, mais plus sicilienne, c’est ça ? Mais alors, je suis quoi ? Et ce que m’a transmis ma mère, même si ce n’est pas de l’ADN, ce sont quand même mes origines, non ? Que dois-je répondre maintenant, comment je raconte mon histoire ?

Face à ces questions, chacun réagira différemment. Pour ma part, j’ai laissé l’information faire son chemin lentement dans mon cerveau. Une histoire, ça ne s’écrit pas à la va-vite, il faut prendre le temps d’apprécier chaque étape et d’être sûr du chemin qu’on prend, surtout quand il peut affecter d’autres personnes. Un an plus tard, mon choix était fait. S’il y a une possibilité, même infime, de savoir qui est à l’origine du don qui a permis ma naissance, je veux la saisir. Pourquoi ? Pour compléter l’histoire de mes origines, mais aussi pour me prouver que ma conception n’est pas qu’un parcours médical douloureux, c’est également une histoire humaine, une histoire de générosité, voire même de sororité.

J’ai donc commandé un test ADN et entamé la longue attente entre l’envoi des échantillons et la réception des résultats. Lorsque ceux-ci sont enfin apparus sur l’écran de mon smartphone, mon cœur battait la chamade. Je suis bien à moitié portugaise. Et si je ne suis effectivement pas sicilienne, j’ai découvert avec stupéfaction que l’autre moitié de mon ADN est tout de même bien « rital » ! L’outil a même identifié que plus de 20% de mon patrimoine génétique viendrait de Sardaigne. Cette découverte m’a bouleversée. D’abord parce que j’étais profondément heureuse de sentir une connexion géographique avec ma mère. Ensuite parce que je me suis rendu compte que je ne connaissais absolument rien de la Sardaigne. Ce qui avant n’était pour moi qu’une île entre la Corse et la Sicile est aujourd’hui devenu l’un des décors de l’histoire de mon ADN. Je sais que j’ai des heures de lecture devant moi, voire des visites à prévoir pour découvrir ce nouveau monde, et j’en suis tout excitée !

Non, je n’ai pas encore trouvé celle à qui je dois ce nouveau patrimoine génétique, peut-être ne la trouverai-je jamais. Et si je la trouve un jour, je ne sais pas encore ce que nous pourrons nous dire, mais j’espère qu’elle acceptera de me raconter un peu l’histoire de ses origines à elle.

Je pense que je me sentirai toujours autant dans l’imposture, que je me dise sarde, sicilienne ou portugaise. Mais qu’importe ! Ce que j’ai compris, c’est que la réponse à cette question est bien trop complexe pour se résumer en une phrase, surtout dans mon cas. Alors j’irai au plus simple la plupart du temps, mais quand j’en aurais envie, je pourrais aussi y répondre vraiment, sans en avoir honte et en prenant tous les détours possibles, parce qu’aujourd’hui je les connais.

S’il y a bien quelque chose que ces dernières années m’ont appris, c’est que l’humain a besoin de se raconter. Il a besoin d’une histoire bien à lui, aussi inhabituelle et étonnante qu’elle soit, pour donner un sens à son existence.