Je n’ai pas eu la chance d’en parler avec lui…

Je n’ai pas eu la chance d’en parler avec lui…

Je m’appelle Marion et je suis née en 1990 à Lille via le CECOS. J’ai appris mon mode de conception tardivement. C’était en janvier 2018, j’avais 27ans et je questionnais ma mère à propos de mes antécédents familiaux en vue d’une consultation gastro. La discussion commençait à virer au harcèlement parce qu’elle esquivait mes questions depuis des semaines. Je savais que mon père, qui est décédé lorsque j’avais 20 ans d’un cancer, avait des frères décédés de cancers du côlon. J’insistais donc pour avoir des infos là-dessus et je ne voulais pas entendre qu’elle me dise ne plus se souvenir de l’âge approximatif auquel est décédé l’oncle Robert, alors qu’il y avait des photos de lui partout dans la maison ! C’est là que la bombe a été lâché « ton père n’est pas ton père ». Je n’ai pas compris tout de suite, je lui ai demandé des précisions. Elle m’a expliqué que j’étais issue d’un don de sperme.

Ma première réaction a été un immense soulagement. Puis j’ai été blessée qu’elle me dise que mon père ne l’était pas. C’était MON père, point. Et puis déçue aussi. Déçue de n’avoir jamais pu en parler avec lui, mon père, et que l’on m’ai menti tout ce temps.

Le soulagement c’est parce que je savais qu’il y avait un truc pas clair, un secret de famille, je l’ai toujours sentie. Vers 8 ans, quand on feuilletait les albums photos chez ma mamie, je me demandais pourquoi je ne ressemblais à aucun de mes parents alors que mon frère, cadet de 3 ans, était le portrait craché de ma mère lorsqu’elle était enfant. J’avais demandé à ma mamie si j’étais adoptée. Elle a dû rechercher une photo datée de ma mère enceinte pour calmer mes ardeurs. Puis au collège, en voulant photocopier le livret de famille pour une sortie de classe, j’ai découvert que mon père était divorcé. J’ai cru mettre le doigt sur ce truc pesant que je ressentais depuis longtemps. J’ai fouillé dans les papiers « Aucun enfant n’est né de cette union ». Avec le recul je m’aperçois aujourd’hui que la stérilité de mon père a dû peser dans sa vie bien avant qu’on ne naisse. Enfin, au lycée en SVT, pendant son cours sur les chromosomes, le prof a fait une parenthèse : il nous a parlé des inséminations artificielles qui existent depuis les années 80. Je savais que mes parents nous avaient eu tard pour l’époque : 34/37 ans pour ma mère et 40/43 ans pour mon père. Je savais aussi que j’avais échappé au prénom de Désirée, ça m’a remis la puce à l’oreille.  En rentrant au soir j’ai demandé à mes parents « Est-ce qu’on est issus d’une insémination artificielle ? ». Un blanc puis la réponse de ma mère « Oui, mais pourquoi tu demandes ça ? ». Mon père n’a pas pipé mot. Je n’ai pas pensé à observer sa réaction à l’époque parce que j’étais persuadée que le « problème » venait de ma mère. Elle avait des soucis gynéco et je me trouvais malgré tout d’avantage de ressemblance physique avec mon père qu’avec ma mère : les cheveux noirs, une tâche de naissance sur le ventre…  J’insiste encore « mais du coup on est issus de vous deux ? ». Ma mère s’emporte un peu « Mais oui enfin ! tu en poses des questions ! ». Aujourd’hui je lui en veux encore de m’avoir menti alors que je lui ai posé la question clairement. Même si je comprends que ça aurait pu être compliqué pour mon frère, 12 ans à l’époque, d’encaisser la nouvelle mais quand même… J’ai ce regret de n’avoir jamais pu évoquer la chose avec mon père. Quand j’y pense il y a des tas de réactions de sa part, des moments de malaises que je comprends maintenant et que nous n’aurions pas du vivre. Je ne peux qu’imaginer à quel point ça a dû être pesant pour eux de garder ça secret. Je reste persuadée qu’ils auraient été libérés d’un poids si j’avais eu l’occasion de lui dire à quel point ça ne change rien pour moi.

Lorsque ma mère me l’a annoncé, j’ai demandé si on avait le même donneur mon frère et moi. Elle m’a répondu par l’affirmative puis « enfin je pense ». Je lui ai demandé si elle comptait le dire à mon frère « Peut être sur mon lit de mort ». J’ai dû la convaincre d’en parler elle-même à mon frère, estimant que ce n’était pas à moi de le lui dire et refusant de faire partie de ce mensonge. Elle m’a demandé de ne pas en parler autour de moi, je lui ai répondu que c’était mon histoire et que j’avais besoin d’en discuter avec mes amis proches, ce que j’ai fait.

Ma mère ne le savait pas encore à l’époque mais je venais d’apprendre que j’étais enceinte, je me suis donc demandé ce que j’allais transmettre à mon enfant. J’étais soulagée de savoir que je n’avais pas d’antécédent de cancer du côlon, mais j’avais peut-être bien pire dans mon patrimoine génétique ? Je me suis donc renseignée. Ok, ils font passer aux donneurs des questionnaires sur les antécédents médicaux, mais s’ils déclarent un truc horrible après leur don ? Genre une maladie génétique, une myopathie ? Le don est fait donc c’est trop tard ? Est-ce que les CECOS contacte les enfants ? Je suis infirmière, c’est peut-être une déformation professionnelle que de penser à tout ça. Quand j’ai su que en tant qu’enfant IAD (issue d’une Insémination Artificielle avec Donneur) nous n’avions aucun droit, mis à part de vivre, ça m’a mise en colère.

Les parents ont le droit aux dons et aux inséminations. Les donneurs ont le droit à l’anonymat. Et les enfants ? « Estimez-vous heureux d’être là » qu’on entend. « Vos parents c’est ceux qui vous ont élevés, pourquoi chercher ? ». Evidemment que nos parents restent nos parents ! Mais savoir que quelque part il y a un dossier avec plein d’informations sur ce qui fait 50% de notre être et qu’on n’a juste PAS LE DROIT d’y avoir accès, moi ça m’énerve ! Quelques mois après la naissance de mon fils, j’ai décidé de faire un test ADN « récréatif », ceux dont on voit la pub à la télévision bien qu’ils soient interdits en France. J’ai trouvé des cousins plus ou moins éloignés et une demi-sœur du même âge que moi. A coup sûre une IAD. J’ai voulu la contacter pour avoir des informations, supposant qu’elle était elle au courant de son mode de conception puisqu’elle avait fait un test ADN, mais non. Je lui ai donc appris la nouvelle malgré moi. Heureusement que j’avais pris des pincettes grâce aux conseils de l’association des PMAnonyme, que j’avais découvert en effectuant une recherche Google. Ils ont été d’un immense réconfort. Je me suis sentie soutenue, comprise et légitime de me poser toutes ses questions. J’ai fini par avoir des nouvelles de ma demie quelques mois après, le temps pour elle de digérer l’information. Comme elle ressemble à sa mère, elle ne s’est jamais posée de question et avait fait le test ADN pour le fun. On s’est rajouté sur les réseaux sociaux et pour l’instant ça en est resté là. Elle a peur de blesser son père, ce que je peux comprendre. Peut-être que l’on se verra un jour, on n’habite pas très loin mais pour l’instant ce n’est pas d’actualité.

En faisant le test, je n’ai pas osé prendre l’option « prédispositions génétiques » de peur de m’inquiéter inutilement pour mon fils. Grace à l’aide de l’adhérente d’une association, nous avions retrouvé mes arrière-grands-parents. Ça s’est arrêté là.

Puis en janvier 2021 alors que j’avais un peu lâché l’affaire, une pub est repassée à la télévision « faites revivre vos photos ». Avant d’aller au lit, je retrouve et ouvre l’application pour voir s’il y a du nouveau. Au lieu des deux parentés proches (mon frère et ma demie), j’en ai trois : « Jacques, relation estimée « père », ADN partagé 49,9% ». C’est le choc, l’excitation, l’impression d’avoir trouvé le Graal ! J’ai envoyé un message à Delphine, sa fille qui gère le compte. Elle attendait que je les contacte. Deux jours après j’ai Jacques au téléphone, c’est lui qui m’appelle. J’avais trop peur de le déranger. J’ai du mal à réaliser. Jacques est hyper-sympa, avenant. Il m’explique qu’il a pris la décision de faire un don parce que son demi-frère ne parvenait pas à avoir d’enfant. Il me donne plein d’informations sur mes antécédents « familiaux ». Il m’explique que lui-même ne connaissait pas son géniteur, qu’il l’a rencontré sur le tard. Un RDV est pris pour une rencontre. Lui et sa femme sont très chaleureux, ils me mettent à l’aise. En discutant il m’explique son parcours de vie et je le découvre, il est plutôt loquace, tout le contraire de mes deux parents. Il a « la niaque », un caractère bien trempé et il n’est pas langue de bois. Je me découvre des traits de caractères en commun. C’est surprenant, je ne m’attendais pas à ça, c’est au-delà de mes espérances. On parle de mes parents et de mon père. Il me montre des photos et finalement c’est encore mon frère qui lui ressemble le plus à 20 ans, c’est même impressionnant selon ma mère. Mon frère lui n’a pas souhaité le rencontrer. Jacques reste ouvert et respecte son choix. Deux de ses trois filles travaillent dans la même branche que moi, ça nécessite beaucoup d’empathie. Je trouve ça intrigant, c’est peut-être héréditaire ? Aujourd’hui on s’échange régulièrement des nouvelles, j’ai l’impression qu’il fait un peu partie de ma famille bien qu’il m’est impossible de le mettre au même niveau que mon père. Ça serait plus comme un oncle retrouvé.

Finalement je suis très heureuse d’être une enfant issue de don. J’ai été désirée et aimée par mes deux parents. Et je peux me vanter d’avoir un arbre généalogique à trois branches. La rencontre de Jacques a permis d’apaiser mes craintes et interrogations. Cette année, mon mari a décidé de lui-même de donner au CECOS, je suis très fière de lui et de sa démarche. Comme on est au clair sur la notion de don et de non-filiation, il va donner de manière non-anonyme afin que les enfants IAD puissent avoir réponses à leurs questions plus tard, s’ils le souhaitent.