Témoignages de personnes conçues par don

« Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres » Alexis de Tocqueville.

« Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres » Alexis de Tocqueville.

« Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres » Alexis de Tocqueville.

Je suis tombée sur cette phrase un an après ma découverte et j’ai trouvé qu’elle décrivait à la perfection ma situation. Un an plus tôt, lors d’un test ADN récréatif, j’apprenais que mon père n’était pas mon père biologique et que j’avais des demi-soeurs. Je n’avais pas fait ce test par hasard. J’étais en quête de la vérité que mes parents s’efforçaient de cacher depuis des années. Pourtant les indices étaient discrets, ils ont été très forts pour enterrer leur secret. Sans se rendre compte, par la même occasion, qu’ils étaient également en train d’enterrer leur couple, leur tranquillité d’esprit et leur liberté de parole. Cela a fait de la place à d’autres choses ; la honte, la culpabilité et les silences. C’est là que j’ai trouvé mes maigres indices. Pourquoi ma famille n’est-elle pas comme les autres ? Pourquoi tant de tabous autour de l’amour et la sexualité ? Pourquoi mes parents ont de la honte dans les yeux quand ils me regardent ? Pourquoi ma mère tremble à l’idée de dire un mot de trop devant mon père ?

J’imagine que je ne suis pas la seule enfant à m’être posé ces questions, mais j’avais ce sentiment que quelque chose était différent. Leur silence, j’en étais certaine, cachait quelque chose de bien plus gros. Ce silence m’emprisonnait plus qu’il ne me protégeait. Mais comment mettre des mots sur ce qu’on ne voit pas ? Comment rassembler les éléments et imaginer que mon histoire est différente de celle qu’on m’a racontée ? J’ai des photos de ma mère enceinte et je suis d’ailleurs sa copie conforme. Non, ça ne peut pas être ça. Il doit y avoir une autre explication, c’est certain.

Je passe des années en thérapie, à creuser, à chercher et à m’épuiser surtout. Vais-je seulement trouver un jour d’où viennent ces blocages ? J’ai bien sûr eu envie de demander de l’aide à mes parents, mais j’ai bien compris depuis le plus jeune âge que, chez nous, on ne pose pas de questions ; il y a des mots qu’il ne faut pas dire. On préfère le silence, pas étonnant que je sois une taiseuse, j’ai été à bonne école. Alors je reproduis ce qu’on m’a appris. J’apprend à avoir honte de moi, je me sens en permanence coupable sans même savoir de quoi et je m’enferme dans une timidité maladive. Je suis une enfant angoissée, qui doute de tout et surtout d’elle-même. J’ai l’impression de passer à côté de ma vie. Pourtant, je ne lâche rien. Je me fais la promesse de trouver. Mais une voix dans ma tête ne cesse de me dire « tu es juste une fille banale, peut-être avec une famille un peu plus bizarre que les autres ». Une part de moi sait qu’elle doit prendre le dessus et creuser. Trouver la vérité pour se libérer.

Après avoir passé plusieurs années à dépoussiérer en thérapie, je sens de plus en plus que ça ne peut venir que de ma naissance.  Il n’y a pas eu de changement de comportement de ma famille, ça a toujours été là. Cela vient forcément de ma conception, je me suis construite sur des bases bien trop fragiles et sur une illusion de stabilité. Ces pensées ne me lâchent plus, je sens que je suis sur la bonne piste. Et j’ose enfin poser des questions. Ma mère se bloque, se braque et refuse de me répondre. Si moi je suis prête à faire tomber les barrières ce n’est apparemment pas un désir partagé. Une telle réaction n’augure rien de bon. Je n’ai plus de doute, je suis née grâce à un don anonyme de sperme. Mais comme on me l’a appris, j’enterre rapidement cette hypothèse et je m’en sens honteuse.

Comment puis-je avoir des doutes sur la filiation avec mon père ? La culpabilité me ronge. Il doit y avoir une autre explication. A part son silence ma mère ne m’a rien donné. Je dois enquêter seule. Mais suis-je prête à accueillir la vérité ? Après avoir essayé d’avoir l’information via le groupe sanguin de mon père, il ne me reste plus qu’une solution : faire un test ADN. J’ai peu de chance que ce test m’apporte des réponses, mais c’est le seul outil à ma disposition. Et si j’ai tort, cela viendra au moins calmer ma tempête intérieure. Depuis la conversation avec ma mère, je ne dors plus, j’arrive à peine à manger et à travailler. Je n’ose plus voir mes amis, je ne peux pas leur raconter ce que je suis en train de vivre, ils vont me prendre pour une folle. Et pour une des premières fois de ma vie, je n’arrive plus à faire semblant, je ne peux plus donner l’illusion que tout va bien. Je me sens sombrer mais je garde tout à l’intérieur, je n’y suis que trop bien habituée.  

Quelques semaine plus tard, empreinte de honte et de culpabilité, je réalise le test ADN. J’ai l’impression de trahir ma famille. Mais une part de moi le sait, mes réponses se trouvent dans cette enveloppe que je m’apprête à envoyer. Je veux mettre en lumière ce que mes parents tentent de garder à l’ombre. Avoir fait ce test m’offre quelques semaines de répit. J’ai fait le nécessaire et je n’ai plus le contrôle sur la situation, il me reste juste à attendre sagement les résultats. Généralement il faut un peu plus d’un mois pour les obtenir. Je m’autorise à penser à autre chose. Mais ce sujet reste en fond, je regarde tous les reportages que je trouve et je lis bien sur les témoignages poignants sur le site de PMAnonyme. Si mes doutes se confirment, je sais au moins que j’aurai un endroit où trouver du réconfort. Je pourrai évidemment compter aussi sur le soutien sans faille de mes amis, mais trouver une communauté bienveillante qui vit la même chose que moi, c’est capital.
Moins de 3 semaines après l’envoi de mon test, alors que je suis en train de reprendre tant bien que mal une vie normale, un mail vient de signaler que mes résultats sont disponibles. Je ne suis pas prête. J’avais encore 2-3 semaines pour me faire à l’idée. Je suis incapable de les ouvrir. Je suis au travail. Je n’arrive plus à respirer. Je tiens 30 minutes avant que l’envie irrépressible de les ouvrir s’impose à moi. Je ne peux désormais plus attendre une seconde pour les ouvrir : il est temps de faire éclater la vérité.

Je pénètre sur un territoire interdit : le site affiche une à une mes origines ethniques, la première correspond à celle de mes parents. Et si je m’étais trompée ? Mais la deuxième vient confirmer mes doutes « Ecossaise ou Bretonne ». Cela n’a aucun sens. Je suis la première de ma famille à être née en Europe. C’est impossible. Pourtant, je m’autorise encore à douter, c’est peut-être une erreur du site, après tout, quelle est la fiabilité des résultats ? Je clique ensuite sur mes correspondances ADN, c’est le moment de voir qui de ma famille a fait le test. Plus aucun doute n’est permis ; je découvre la présence de deux demi-soeurs. Le sol se dérobe sous mes pieds, j’ai physiquement l’impression de tomber et que ma tête vient frapper le sol. On est en train de m’arracher mes racines, c’est d’une violence rare. Je suis totalement perdue mais aussi soulagée : je n’étais donc pas folle.
J’avais heureusement parlé de mes recherches à une amie quelques jours avant, j’ai pu l’appeler immédiatement et parler. Faire enfin sortir ces mots bloqués depuis si longtemps. Maintenant que je savais une partie de la vérité je m’autorisais enfin à parler. Et surtout à mettre des mots sur mes émotions. Des émotions qu’on m’avait appris, comme le reste, à taire. Chez nous, il ne faut rien ressentir ou du moins, ne pas le dire. Et si on ne dit pas les choses, elles n’existent pas. Non. Je refuse de continuer sur ce chemin. Même si ça fait mal, je veux retrouver mes sensations, écouter ce que mes émotions ont à dire et les accueillir. Je suis tiraillée entre la surexcitation d’avoir enfin découvert le secret, la reconnaissance d’avoir pu naître grâce à cet inconnu et l’impression qu’on m’arrache une partie de moi. Je me suis construite sur un mensonge. Il est encore trop tôt pour comprendre l’impact de cette nouvelle sur moi. Mais je savais, qu’avec le temps, cela allait venir me libérer et me changer.  

Mais je comprends enfin tout : les silences et réactions de ma famille, les crises de mon père le jour de mon anniversaire, ses colères qui suivent automatiquement un moment de bonheur partagé : il se sent illégitime et se punit. Puis tous ces sujets que l’on évite : mes parents s’empêchent de prononcer certains mots qui pourraient les trahir.

Je ne sais pas si un jour j’arriverai à mettre des mots sur ce que je ressens : une perte de repère totale. Je ne sais plus qui je suis. Et je sais désormais qu’il y a des personnes qui partagent une part importante de mon ADN et que je ne les connais pas. C’est tellement troublant et je sens qu’il est encore trop tôt pour en parler avec ma famille. Le déni est si fort que j’essaye d’imaginer tous les scénarios : mon père a eu une aventure avec d’autres femmes et c’est pour ça que j’ai des demi-soeurs. Ou bien encore, que mon grand-père a eu des enfants illégitimes et que ce sont en réalité mes tantes et non mes demi-soeurs. Mais aucun scénario ne colle. Je la connais pourtant la vérité, mais je ne suis pas prête à l’accueillir totalement. J’ai encore besoin de ces moments de doute, pour me protéger sûrement.

Au moins, depuis que j’ai les résultats du test, j’ose en parler à mes amis. Je sens que j’arrive à me libérer peu à peu. Cette histoire est la mienne et je ne souhaite pas reproduire le schéma. Je choisis la parole, je refuse d’aller vers la facilité et conserver leur secret.

Maintenant que je sais que « Je suis l’une d’entre elles », je contacte rapidement PMAnonyme et je me procure ce livre de témoignages tellement poignants. Cette association remplit totalement son rôle et me permet d’échanger avec ces autres personnes, comme moi, nées d’un secret. Toutes nos histoires sont différentes, mais on se reconnaît, on se comprend, ce lien est précieux et particulier. Nos histoires sont riches et palpitantes, même si je ne connais pas encore totalement la mienne. Je dois, à ce moment là, me contenter de suppositions ; ma famille n’est toujours pas prête à me délivrer la vérité. Bizarrement plus le temps passe et moins j’ai de doute. Cela ne peut être qu’un donneur anonyme de sperme, je ne veux pas imaginer autre chose.
Les échanges et rencontres avec les membres de l’association me donnent le courage de tenter une fois de plus de parler à ma famille. Cette fois je dispose d’une preuve scientifique : mon test ADN. Ils ne peuvent plus nier la vérité. Là encore, je n’ai pas eu le droit à des explications. Toujours ces silences, mais j’ai appris à les comprendre, à les décrypter. Je sentais, cette fois, que la vérité allait enfin m’être révélée. Bientôt. Je devais être patiente.   

Quelques semaines plus tard, nous avons été réunis avec ma fratrie. Ils étaient au courant de mes recherches mais sans montrer un intérêt particulier pour celles-ci.
Nous avons enfin eu le droit à la vérité. Toute l’histoire. Sans filtre, pour une fois. Nous n’y étions pas habitués. Ce fut un moment de partage incroyable, quel respect et admiration j’ai eu pour mes parents qui ont eu à vivre ce parcours. Nous avons pu les écouter, les remercier et saluer leur courage. Un poids est parti, mais cela a été de courte durée.

Suite à la révélation, ma famille a fait le choix du silence : nous n’en parlerons plus. Le sujet est clos, il faut passer à autre chose et ne surtout pas perturber l’équilibre familial. Le silence s’impose, une fois de plus.

Non. Pour moi, la révélation seule ne suffit pas. Une gêne s’installe. J’ai besoin de parler, j’ai besoin d’exprimer, j’ai besoin de comprendre ce qui est en train de se jouer en moi. Mais pour eux, ce n’est pas « mon histoire » ni « ma souffrance » mais la leur. J’essaye de leur expliquer que c’est moi qui suit composée à 50% d’un homme que je ne connais pas. Que l’impact psychologique a été tel que j’ai deviné leur secret. Je comprends parfaitement leur « souffrance » pourquoi doivent-il nier la mienne ? Une fois de plus, on cherche à m’empêcher de ressentir.
Ma fratrie fait le choix de se ranger du côté de mes parents et de vouloir protéger coûte que coûte le secret. Une distance se crée, j’ai besoin de me détacher de cette structure familiale qui ne me convient plus : ils me rejettent, subtilement, certes, mais ils s’éloignent. Il ne faudrait pas détruire leur équilibre instable. J’apprends à mes dépens que ce n’est pas le message que l’on déteste, mais le messager. Je me retrouve l’intrus de cette famille. Moi qui ne voulais plus de cet accord tacite pour préserver leur secret.

Une nouvelle fois, je sombre. J’étais si proche d’eux et je ne comprends désormais plus quelle est ma place dans cette famille. Je me sens étrangère, à eux, à moi-même, je ne sais plus qui je suis.
Pourtant je ne cherche pas d’information sur mon donneur ni sur mes demi-soeurs. Je n’arrive toujours pas à intégrer que je partage de l’ADN avec d’autres personnes. Chaque chose en son temps. Pourtant les antécédents médicaux de cette famille que je ne connais pas me préoccupent. Je suis passée de l’autre côté, celui dont je ne suis plus sûre de rien. Pour moi qui suis extrêmement dans le contrôle, c’est déroutant. Je suis en perte totale de repère et cela m’effraie. Je ne suis pas la seule de ma fratrie à avoir peur. Mais pour eux, le déni prévaut sur la santé, ils gardent le silence. Se rendent-ils seulement compte des conséquences délétères de ce secret sur eux et sur leurs enfants ? À qui rendent-ils service en entretenant le silence ?

Me taire, serait signe d’acceptation. Et je refuse de faire perdurer ce climat d’insécurité dans lequel j’ai grandi. Cette place ne me convient plus. Je souhaite désormais en prendre une nouvelle, je ne veux plus de celle que l’on m’a attribuée. Un processus de déconstruction se met en place, ça fait mal, je suis effrayée, j’en perd mon précieux équilibre. Mais cela est une étape nécessaire pour faire place nette à de nouvelles fondations. Cette fois-ci, bien plus solides que les précédentes. Une reconstruction semble enfin possible.

Désormais, je décide de suivre Charles Pépin et « Je retourne dans le passé pour ouvrir l’avenir ». Un passé qui est en train d’être nettoyé pour faire place, je l’espère, à un avenir où le secret n’aura plus sa place et où je prendrai toute la mienne.   

Je ne suis pas sortie intacte de ces révélations, mais je souhaite en tirer le meilleur en m’enracinant, cette fois, au bon endroit.

C’est quoi tes origines ? – Adeline, 30 ans

« C’est quoi tes origines ? » Pour certains, la réponse coule de source. Ils répondent du tac au tac, plus rapides qu’un participant à Questions pour un champion. Je ne sais pas s’ils s’entraînent depuis tout petits ou si la réponse leur vient naturellement aux lèvres. De mon côté, j’ai toujours buté dessus, mais il me fallait bien échafauder une réponse, parce que parler de ses origines, c’est avant tout raconter son histoire.

Mon père est né au Portugal, ma mère en Sicile, mais est-ce pour autant que j’ai des origines portugaises et siciliennes ? Moi qui suis née en région parisienne, qui deviens écarlate au moindre rayon de soleil et qui ne sais pas dire plus de trois mots dans ces deux langues, quand vient le moment d’annoncer ces origines, je me sens l’âme d’une impostrice. Pourtant, je me fais violence en me disant que si mes origines tiennent au sang qui coule dans mes veines, alors oui, la source se trouve bien là-bas. Et puis, si je dois subir les blagues sur les Ritals et les poils des Portugaises, j’ai bien le droit de profiter aussi du potentiel exotique et romantique de ces origines !

Et puis, arrivée à l’âge adulte, alors que mon discours avait commencé à bien se rôder, voilà qu’une révélation vient tout bousculer. Ma mère m’avoue, après 28 ans de silence, qu’elle a dû avoir recours à un don d’ovocytes pour m’avoir. Le choc n’est pas si brutal, car immédiatement me reviennent plusieurs souvenirs qui commencent à s’emboîter comme les pièces d’un vieux puzzle qu’on aurait laissé prendre la poussière au grenier. Mes parents se sont rencontrés lorsqu’ils avaient 15 ans et ne m’ont eue qu’à 37 ans. Je sais qu’ils avaient entamé une procédure d’adoption avant qu’on leur parle de nouvelles possibilités de PMA. Ils m’ont parlé de FIV lorsque j’étais au collège, mais lorsque j’ai commencé à poser des questions techniques, ma mère m’a fait taire brusquement. Comme ce n’est pas dans ses habitudes, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de douloureux pour elle autour de ma naissance, et n’en ai donc plus jamais parlé.

Cela me fait du bien d’écouter ma mère me parler de tout ce qu’elle a pu traverser, de ses doutes, de ses blessures et de ses joies. À elle aussi. Elle m’avouera d’ailleurs une semaine plus tard qu’elle a l’impression qu’un poids a enfin quitté ses épaules. Pourquoi s’imposer un tel châtiment ? Et pourquoi laisser vivre son enfant dans l’idée que sa venue au monde ait pu être source de souffrance, alors que c’est tout l’inverse ? Je sais qu’il existe plusieurs réponses à celà (honte de l’infertilité, tabou du don, peur du rejet…), mais je sais aujourd’hui qu’aucune ne justifie les répercussions qu’entraîne inévitablement un tel secret.

Quoi qu’il en soit, l’histoire de mes origines commence à ressembler à quelque chose. J’ai le cerveau en ébullition, un grand sourire sur les lèvres et je n’arrive à me concentrer sur aucun autre sujet. Soudain je remarque quelque chose: il manque un chapitre à l’histoire. Ce que je viens d’apprendre, c’est que le sang qui coule dans mes veines, en fait, je n’en connaîs que la moitié. Alors je suis d’origine portugaise, mais plus sicilienne, c’est ça ? Mais alors, je suis quoi ? Et ce que m’a transmis ma mère, même si ce n’est pas de l’ADN, ce sont quand même mes origines, non ? Que dois-je répondre maintenant, comment je raconte mon histoire ?

Face à ces questions, chacun réagira différemment. Pour ma part, j’ai laissé l’information faire son chemin lentement dans mon cerveau. Une histoire, ça ne s’écrit pas à la va-vite, il faut prendre le temps d’apprécier chaque étape et d’être sûr du chemin qu’on prend, surtout quand il peut affecter d’autres personnes. Un an plus tard, mon choix était fait. S’il y a une possibilité, même infime, de savoir qui est à l’origine du don qui a permis ma naissance, je veux la saisir. Pourquoi ? Pour compléter l’histoire de mes origines, mais aussi pour me prouver que ma conception n’est pas qu’un parcours médical douloureux, c’est également une histoire humaine, une histoire de générosité, voire même de sororité.

J’ai donc commandé un test ADN et entamé la longue attente entre l’envoi des échantillons et la réception des résultats. Lorsque ceux-ci sont enfin apparus sur l’écran de mon smartphone, mon cœur battait la chamade. Je suis bien à moitié portugaise. Et si je ne suis effectivement pas sicilienne, j’ai découvert avec stupéfaction que l’autre moitié de mon ADN est tout de même bien « rital » ! L’outil a même identifié que plus de 20% de mon patrimoine génétique viendrait de Sardaigne. Cette découverte m’a bouleversée. D’abord parce que j’étais profondément heureuse de sentir une connexion géographique avec ma mère. Ensuite parce que je me suis rendu compte que je ne connaissais absolument rien de la Sardaigne. Ce qui avant n’était pour moi qu’une île entre la Corse et la Sicile est aujourd’hui devenu l’un des décors de l’histoire de mon ADN. Je sais que j’ai des heures de lecture devant moi, voire des visites à prévoir pour découvrir ce nouveau monde, et j’en suis tout excitée !

Non, je n’ai pas encore trouvé celle à qui je dois ce nouveau patrimoine génétique, peut-être ne la trouverai-je jamais. Et si je la trouve un jour, je ne sais pas encore ce que nous pourrons nous dire, mais j’espère qu’elle acceptera de me raconter un peu l’histoire de ses origines à elle.

Je pense que je me sentirai toujours autant dans l’imposture, que je me dise sarde, sicilienne ou portugaise. Mais qu’importe ! Ce que j’ai compris, c’est que la réponse à cette question est bien trop complexe pour se résumer en une phrase, surtout dans mon cas. Alors j’irai au plus simple la plupart du temps, mais quand j’en aurais envie, je pourrais aussi y répondre vraiment, sans en avoir honte et en prenant tous les détours possibles, parce qu’aujourd’hui je les connais.

S’il y a bien quelque chose que ces dernières années m’ont appris, c’est que l’humain a besoin de se raconter. Il a besoin d’une histoire bien à lui, aussi inhabituelle et étonnante qu’elle soit, pour donner un sens à son existence.

Un test ADN a bouleversé ma vie

Je m’appelle Delphine, j’ai 47 ans et j’ai appris il y a quelques mois que j’ai été conçue par don. Tout a commencé par un test ADN que ma sœur avait acheté pour découvrir ses origines ethniques. Il faut savoir que physiquement et moralement, nous ne nous ressemblons pas du tout et depuis toujours, les gens se sont toujours questionné sur nos différences.

Lorsque ma soeur a reçu ses résultats, elle me parle de demi-sœurs et demi-frères, je ne comprends pas et je lui réponds que c’est une société étrangère, qui utilise peut-être ce terme-là pour « cousins éloignés » ?? Bref, je ne me demande même pas si notre père était stérile. Ma mère m’a eue à 32 ans, ce qui était assez tard dans les années 70 et ma sœur est arrivée 3 ans plus tard.

Quand j’étais petite et en âge de poser des questions, j’ai demandé à mes parents pourquoi les parents de mes camarades étaient plus jeunes et ma mère me répondit qu’elle avait du mal à tomber enceinte, que les médecins lui avaient dit qu’elle n’aurait jamais d’enfants. Ma naissance en 72 était un vrai miracle. J’ai donc grandi ainsi, en pensant que ma mère était soi-disant stérile mais jamais je ne me serais doutée que le problème venait de mon père.

Entre-temps, ma sœur a appris la vérité par une demi-sœur, le choc… notre père était stérile, pas notre mère ! Dans la foulée, je commande un test sur MyHeritage, je découvre que ma sœur n’est que ma demi-soeur biologique car nous ne partageons que 27,2% d’ADN mais contrairement à elle, aucun demi-frère ou -sœur, rien… à part une correspondance ADN de 0,6%.

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Qui suis-je ?

J’aurai 29 ans cette année. J’ai appris à l’âge de 11 ans que j’avais été conçue avec l’aide d’un donneur anonyme, que mon père n’était pas mon géniteur, que mes cheveux ne venaient pas de ma grand-mère paternelle, que mes yeux ne venaient pas de mon père, qu’en définitive je ne ressemblais à personne. Ça a été le début d’une quête existentielle qui n’est pas près de se terminer. J’écris aujourd’hui ce témoignage pour les autres personnes conçues par don de gamètes qui peut-être pourront s’y identifier, pour les parents qui se demandent certainement ce qui se passe dans la tête de leur enfant. Peut-être pour mon donneur, comme une bouteille à la mer ?

Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours senti que quelque chose « n’allait pas » sans pouvoir vraiment mettre de mot dessus. Enfant, je continuais régulièrement à demander à ma mère comment j’avais été conçue. Je crois que quelque part je me doutais bien qu’il y avait quelque chose avec cette histoire de « graine » qui clochait ou simplement un morceau qui manquait…

Je me souviens très bien comment je l’ai appris, ce genre de moment ne vous quitte pas. J’avais 11 ans, nous étions en vacances, c’était peu avant que mes parents ne divorcent. Mon père a décidé que c’était le bon moment pour me dévoiler le pot aux roses. J’ai pleuré, il m’a offert une glace en me disant ça va aller.

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Cécile, 33 ans, cabinet parisien

Être née d’un don de sperme et l’apprendre à 23 ans sont deux notions compliquées, tant les questions vous taraudent. Il existe une tristesse, un manque, un vide et une incomplétude de l’être qui vous accompagnent au fil des ans.

Lorsque nous avons compris que nous aurions besoin d’un don de sperme à notre tour, mon monde s’est écroulé une deuxième fois. Pas ça …. Pas moi… pas nous… pas mon enfant… Je n aurais voulu, pour rien au monde que mon enfant ressente la tristesse et le manque qui m’habitent. Se pose aussi  la question de la transmission du patrimoine. Que vais-je lui transmettre? moi qui suis à moitié incomplète?

La réalisation récente d’un test ADN 23andme afin de connaître mes origines m’a permis d’avancer et de concevoir l’idée que mon enfant saura trouver les réponses que nous n’avions pas à l époque. Ce blocage autour d’un don pour la conception de mon enfant s’est évaporé après 10 années d’errances et d évolution génétique. 

Rose Christen – 16 ans

Rose Christen – 16 ans

Je suis Rose, bientôt 17 ans, vivant en Auvergne. J’ai appris mon mode de conception dès ma naissance. Toute petite, mes parents me donnaient un livret pour enfant, racontant comment j’avais été conçue. Je trouvais ça tout à fait normal, banal. Je croyais que tous les enfants avaient ce livret, tous les enfants avaient cette histoire.

Le sujet n’a pas été évoqué depuis ce livret jusqu’à environ mes 13 ans. C’est à cet âge-là que je me suis réellement rendu compte de mon mode de conception même si mes parents n’ont jamais souhaité qu’il y ait de secret sur ce sujet.
Mon grand-père paternel m’a lâché un jour : « Tu n’es pas ma vraie petite-fille, pourquoi te donnerais-je le même argent de poche que mes autres petits enfants, ou pourquoi te traiterais-je de la même manière ? ». Depuis, je ne l’ai pas revu, et heureusement. Même si je le déteste d’avoir dit tout cela, et bien d’autres, je sais que c’est grâce à lui que j’ai eu ce déclic. Mais je ne lui suis en rien reconnaissante, bien au contraire.

Alors j’ai commencé par faire des recherches, déjà sur la PMA, puis sur les CECOS. Cette histoire tournait en boucle dans ma tête tous les jours, sans cesse. J’en ai parlé plus tard à ma meilleure amie : je ne pouvais pas garder ça pour moi, il fallait que je l’extériorise. J’ai aussi cherché des moyens de connaître mon donneur. Malheureusement, aucun moyen n’existe légalement en France, il faut donc espérer que les lois changent en faveur des enfants nés par don.

Je ne souhaite pas dire que ce donneur est mon « père » car mon vrai père, celui qui m’a élevé, est le seul à qui je puisse adresser ce nom. Peut-être que je dois 50% de mon ADN, de mon identité, de moi-même en fait, à un inconnu, mais mon père reste celui que j’aime et qui ne m’a jamais rien caché, celui qui m’a transmis ses valeurs. Je sais aussi que si je suis née grâce à ce donneur, c’est parce que les parents ont surmonté de nombreuses épreuves, et qu’ils s’aiment.

Malgré tout, je souhaite rencontrer mon donneur. J’aime mon père, et je ne veux pas le blesser là-dessus, ni blesser ma mère ou le reste de ma famille. Mais il est important pour moi de savoir à qui je ressemble en partie (il paraît que je ne ressemble pas à ma mère ni de physique, ni de caractère), de qui je tiens, si j’ai des antécédents médicaux dont il faut que je me préoccupe, si j’ai des demi-frères, demi-sœurs (je suis fille unique). Et encore beaucoup d’autres questions.
Même si je sais qu’il y a très peu de chances que je retrouve un jour sa trace, je ne cesse d’espérer. L’espoir fait vivre dit-on ?

——
Date du témoignage : 13 décembre 2018

Margaux – 29 ans – CECOS de Rouen

Je pense, du plus loin que va ma mémoire, avoir toujours su mon mode de conception diffèrent de la norme.

À 4-5 ans, mes parents m’ont emmené voir une psychologue car d’après eux je demandais « d’où je venais et comment j’étais venue ». Afin d’éviter un secret de famille inutile, ils m’ont toujours expliqué que mon père ne pouvant pas avoir d’enfants, ils avaient fait appel à l’aide extérieure « d’une banque de graines de papa ».

J’ai vu cette psychologue pendant des années. Et j’allais bien.

Plus tard, aux prémices de mon adolescence, et malgré le fait d’avoir toujours su mon mode de conception, des questions ont commencé à me parasiter le cerveau :
« D’où je viens ? »
« Quelles sont mes origines au final ? »
« Pourquoi moi je ne peux pas répondre quand on me demande mes antécédents médicaux ? »
« Pourquoi je ne pourrais pas savoir à quoi ressemble mon donneur ? »
« Est-il quelqu’un de bien ? »
« D’autres enfants sont-ils nés de ses dons ? »

Et bien d’autres questions dont je n’ai, à l’aube de mes 30 ans, toujours pas les réponses.

D’après moi, quel que soit l’âge de découverte de son mode de conception, le réel problème est la quête de personnalité, d’origines, d’antécédents et non pas une quelconque recherche de réponses à un secret de famille.

La loi doit évoluer, la loi doit changer, maintenant. Afin d’éviter à d’autres de vivre ce que nous vivons.

Cécile – 34 ans

J’ai appris à 34 ans mon mode de conception.
J’ai pensé chouette, la clef à toutes mes questions.
La distance de mon père, la tristesse de ma mère.
Le sacrifice par amour d’un mari envers sa chérie,
Au besoin de maternité face à sa stérilité.
L’incompréhension du coût de ma procréation.
L’impossibilité d’une relation entre êtres aimés.
La non gratuité de sentiments forcés.
Mes parents jamais ne l’ont été réellement.
Leur enfant jamais je ne le serai pleinement.
Ce secret les a minés,
Détruis comme ils me l’ont dit.
Ce secret les a abîmés,
Aigris sans doute à jamais.
Seulement me voilà,
Je suis maintenant là.
Toute cette culpabilité qu’ils me font porter,
Ne m’a pas, bien au contraire, empêchée de pousser.
Moi, l’enfant IAD je suis devenue quelqu’un.
Même si il me manque en moi une partie qu’on m’interdit.
Moi, l’enfant IAD j’aimerais qu’on lève le voile sur un,
Celui qui m’a donné la moitié qui me pose question.
Même si c’est un branleur,
Je voudrais l’apprécier à sa juste valeur.
Même si l’anonymat à l’époque était roi,
Qu’il se lève pour moi.
Des tests ADN je fais et ferais,
Pour toi, te retrouver.
23andme, ancestryDNA,family tree,
Si ils peuvent me permettre d’être free.
Moi, l’enfant IAD, la joie que j’ai pu procurer,
Vaut elle ce secret enduré toutes ces années.
Que la vérité soit faite sur notre identité.
Elle n’appartient qu’à nous, c’est sa définition,
Pas aux lois protégeant notre mode de procréation.
Merci à vous tous, qui en ces quelques vers comprenez,
Toute la complexité qui entoure la personne IAD.

——
Date du témoignage : 16 août 2018