Michelle

Lorsque ma fille est née, comme pour beaucoup d’autres mamans, ce fut le plus beau jour de ma vie.
Je n’en croyais pas mes yeux.
A presque 41 ans, j’avais enfin un enfant. Après tant de galères! 5 années à essayer de tomber enceinte, 6 FIV. Et puis, le mariage qui s’effrite, se dissout. Disparaît.
Merde ! Je fais quoi? Je fais quoi maintenant pour avoir un bébé ? Voilà. 41 ans, divorcée, sans enfant, sans mec. Coincée.
Alors, soit, je rencontre l’homme de ma vie dans cinq minutes, soit… Soit, et bien, on n’en parle plus. J’fais une croix dessus…
Mais rien de tout cela n’arriva. Pas d’homme dans ma vie, mais pas question d’abandonner. En en parlant un peu aux copines, je m’aperçois que je ne suis pas la seule dans cette situation. Par contre je suis la seule à être seule. Les autres sont en couple. On me donne une adresse. En Belgique. J’appelle illico. Je raconte encore.
« Vous êtes homosexuelle ? »
Non. Je suis seule.
« Bon, venez me voir ».
Je pars quelques jours plus tard. Je rencontre le professeur untel, un monsieur aux cheveux blancs qui… Qui quoi ?
Je ne sais plus. Comme par hasard, ce premier entretien est sorti de ma mémoire. Malgré tout, je repars pleine d’espoir. Ca, je m’en souviens.
Commencent alors les traitements, les prises de sang, les coups de fil pour les résultats, re-prises de sang, re-coups de fil.
Et puis, tout va très vite. Mes résultats sont bons. Je repars en Belgique, à l’hôpital. Seules deux amies très proches sont au courant et me soutiennent. J’arrive à l’hôpital, j’y passe la nuit. J’ai acheté du chocolat, je n’ai pas le droit, mais je mange la tablette entière en attendant le sommeil.
Le lendemain matin, départ au bloc pour une FIV avec sperme de donneur. Je suis seule, loin de ma famille et de mes amis. S’il m’arrive quelque chose…
Mais non, tout s’est bien passé. Quelques heures plus tard, je rentre à Paris. Je vais bien.
Quelques jours plus tard, je téléphone pour connaître les résultats. Ils sont excellents !!! Il y a 7 embryons ! 7, mon chiffre porte-bonheur !
Je retourne en Belgique pour le transfert d’embryon. Arrivée devant le train, j’hésite. J’hésite. Je sais que l’issue de ce voyage, si les résultats sont satisfaisants, est irrévocable.
Alors, j’hésite encore. Mais le train va partir. J’y vais. Je suis partie. Pour un long voyage avec ce « peut-être futur bébé » qui sera là pour la vie.

Je sais depuis le début que le donneur est anonyme. Mais mieux vaut anonyme que pas d’enfant du tout. De toutes façons, personne ne m’a dit qu’il y avait des donneurs non anonymes. Même ailleurs. Alors, j’ai pris ce que l’on m’a donné. Un enfant à tout prix. Personne ne m’a non plus prévenue pour plus tard.

Réimplantation. A l’hôpital, j’essaie de questionner le médecin qui s’occupe de moi.
– Vous savez qui est le donneur ? « Non, mais je peux vous assurer que ce n’est pas moi ! » dit-il en souriant. Je n’en saurai pas plus. La conversation est terminée.
Quelques heures plus tard, retour en province où j’habite encore un peu. Chaque jour, chaque minute, c’est l’angoisse. L’angoisse d’un nouvel échec, d’une maternité qui n’aboutit encore pas.

Pourtant, je dois me rendre à l’évidence. Je suis enceinte. Je n’y crois pas . Bien sûr, rien n’est acquis, il faut faire attention, à 40 ans, etc.
9 mois plus tard, ma fille est là. En pleine forme. Moi aussi.

Et tout va bien, jusqu’au jour où, du haut de ses trois ans et de sa petite voix, elle me dit : « Je veux voir mon papa ! »
Oh, merde ! J’avais oublié ! Je ne sais plus ce que j’ai bafouillé. Je suis tellement habituée à être seule avec elle que je ne m’étais même pas aperçue qu’il manquait quelqu’un. Tellement habituée à être 2 que je ne pense même pas que l’on pourrait être 3. Mais ma fille, elle, elle voit bien que, chez les autres, il y a des PAPAS. Ben oui, chez les autres, il y a des papas, et chez nous, il n’y en a pas. Depuis que ma fille est née, je n’ai pas rencontré de monsieur qui…
« Il est où, mon papa, maman ? J’aimerais bien le voir ».
– Je sais, mon ange, moi aussi. Mais, je vais te dire quelque chose de très important. Ecoute, je ne connais pas ton papa. Je voulais avoir une petite fille comme toi, mais toute seule, je ne pouvais pas, alors, je suis allée dans un hôpital et j’ai choisi de belles petites graines que le docteur a mises dans mon ventre et te voilà.
J’ai toujours voulu une magnifique petite fille comme toi et TU ES LA. Ne t’inquiètes pas. Tu as un papa. Tout le monde en a un. Et peut-être qu’un jour, on le rencontrera.

Ce fut difficile de dire tout cela, mais il était très important que la vérité soit dite.
Et puis, un psychologue a pris la relève car j’ai senti que je n’allais pas suffire.
Un jour, n’y tenant plus, j’ai téléphoné au médecin en Belgique et j’ai essayé d’avoir des renseignements sur ce papa inconnu. J’en ai obtenu. Sa taille, la couleur de ses yeux, son métier, sa situation familiale, son pays d’origine. Déjà pas mal.

Si je regrette d’avoir eu un enfant dans ces conditions ?
Oui, bien sûr, car on ne m’a rien dit sur les conséquences que cela pouvait avoir sur ma fille, qui risque peut-être plus tard de ne pas comprendre ma démarche, de m’en tenir rigueur et de le mal vivre.
Non, bien sûr, car je suis la maman la plus heureuse au monde et j’espère que ma fille le sera aussi.
Elle a des copains, des copines qui vivent avec un seul parent, alors, cela permet de relativiser sa situation.
Depuis, quand elle parle de son papa, c’est avec plus de sérénité, car elle sait où il vit et ce qu’il fait, c’est plus facile.

IL faut que les lois changent et que l’anonymat des donneurs soit levé.
Cette levée de l’anonymat est essentielle au bien-être de l’enfant. Savoir d’où l’on vient est primordial.