Staccato : graine de mensonge

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par Anna Lietti, mis en ligne le 18 juin 2015 (l’hebdo, magazine suisse)

1974. Alain Tréboul, enseignant et père de famille français, décide de subir une vasectomie pour soulager sa femme de l’obligation de pilule. Le médecin lui propose de donner son sperme avant de fermer la vanne à gamètes.

Ça ne lui coûtera qu’une petite branlette et ce sera, potentiellement, un grand cadeau pour des couples qui n’ont pas la chance, comme lui, d’avoir des enfants. La recherche sur la procréation médicalement assistée avance en effet à grands pas et, bientôt, la médecine saura venir en aide aux couples infertiles.

Bienveillant et empathique, Alain Tréboul accepte. Le don est anonyme, il ne voit pas le problème.

2008. Alain Tréboul découvre le problème. La première génération d’enfants français nés de donneurs de sperme a atteint l’âge adulte et, à la télévision, l’un d’eux parle. «Je ne sais pas à quoi ressemble l’homme de qui je suis né, dit-il, et cela m’est insupportable. Les médecins ont décrété que cela n’a aucune importance: de quel droit parlent-ils à ma place?»

Ebranlé par les propos d’Arthur Kermalvezen, Alain Tréboul adhère à l’association qui milite pour la levée de l’anonymat des donneurs. Ailleurs en Europe, Suisse comprise, le droit à connaître ses origines, inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant, est désormais inscrit dans la loi.

Après une première phase d’euphorie, la réflexion a mûri: non, donner ses gamètes, ce n’est pas aussi banal que donner son sang.

Juin 2015. Sur les radios nationales, une campagne officielle de tonalité sucette à la fraise encourage la population à faire «un cadeau tout petit» pour «un bonheur très grand». Entendez: à donner, qui son sperme, qui ses ovocytes, aussi anonymement et banalement que l’on donnerait son sang.

Où l’on voit que, trente ans plus tard, non seulement la France s’accroche à l’anonymat du don, mais son gouvernement: 1) encourage désormais activement l’opacité des filiations; 2) présente le don d’ovocytes comme aussi simple et indolore que le don de sperme.

Le site concerné précise, certes, que donner ses ovocytes suppose dix à douze jours de stimulation ovarienne avec piqûre quotidienne, puis une hospitalisation et une anesthésie. Mais ne dit rien des risques encourus par la donneuse.

Jacques Testart, pionnier de la procréation médicalement assistée, dénonce cet «abus démocratique» et cette banalisation mensongère. Il parle dans le vide. La campagne s’est terminée lundi et n’a fait l’objet, dans la presse française, d’aucun article critique. Petit épisode d’une grande dérive.