Ouest France – 21 octobre 2015

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Don de sperme. Une femme réclame la levée partielle de l’anonymat

Née d’un don de sperme, une femme tente de faire reconnaître la non-conformité de la loi française avec la réglementation européenne sur les droits de l’homme.

Doit-on partiellement lever l’anonymat des donneurs de sperme ? Une femme de 35 ans, conçue par insémination artificielle avec donneur, a choisi de saisir le Conseil d’État pour obtenir des informations sur son père biologique. La requérante, qui avait déjà témoigné son besoin d’obtenir des éléments sur ses origines dans un livre signé sous le nom d’emprunt d’Audrey Kermalvezen, mène depuis des années un combat judiciaire pour obtenir une levée partielle du secret qui entoure ses origines.

« J’aimerais savoir à quoi il ressemble »

« Je ne considère pas mon géniteur comme un père, un membre de ma famille, mais il fait partie de moi. Ce n’est pas une quête affective, c’est juste savoir d’où je viens, qui je suis. J’aimerais savoir à quoi il ressemble », explique cette avocate de profession, assurant que ses parents accompagnent sa démarche, inédite en France.

Audrey Kermalvezen avait saisi l’administration en 2009 après avoir découvert, à 29 ans, qu’elle avait été conçue par insémination artificielle, et s’est, depuis, toujours heurtée au refus de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP), l’anonymat du don étant inscrit dans la loi française. « J’étais pourtant certaine de pouvoir obtenir des informations non identifiantes », poursuit Audrey Kermalvezen.

Parmi ses demandes, la jeune femme souhaite notamment savoir si elle et son frère, lui aussi né par don de sperme, ont été conçus par le même donneur. La requérante souhaite aussi connaître l’âge de son donneur, ses caractéristiques physiques générales (couleur des yeux, des cheveux, taille, poids), le type d’activité qu’il exerçait, ou encore ses antécédents médicaux. Celle-ci souhaite également savoir si son père biologique est à l’origine d’autres dons, « pour savoir si j’ai des demi-frères et demi-sœurs dans la nature. Et, comme on prendra contact avec lui, on peut aussi lui demander s’il est opposé à ce que son identité soit dévoilée ou pas », termine Audrey Kermalvezen, s’engageant ici à respecter la décision du donneur.

Une décision qui pourrait faire baisser le nombre de dons

Déboutée de ses demandes par le tribunal administratif puis par la cour administrative d’appel, la voilà qui saisit donc aujourd’hui la plus haute juridiction administrative, arguant que la loi française viole l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme sur le « droit au respect de la vie privée et familiale ».

Mais « sur ces questions, la loi française ferme complètement la porte. On n’a le droit de ne rien savoir du tout, dans aucune circonstance, ou alors en cas de problèmes médicaux graves mais, même dans ce cas, c’est compliqué », analyse de son côté l’avocat d’Audrey Kermalvezen, Me Julien Occhipinti. « On a l’impression d’un gros blocage par peur que les dons baissent. L’objet de notre procédure, c’est que le Conseil d’État déclare la loi française inconventionnelle par rapport à la CEDH. Ce sera ensuite au législateur d’en tirer les conséquences et de refaire la loi ».

Pour Audrey Kermalvezen, qui se dit certaine d’obtenir gain de cause devant la CEDH, il s’agit désormais d’une course contre la montre, le code de la santé publique obligeant les banques de sperme à conserver le nom des donneurs pendant un délai minimum de 40 ans. « Après, on ne sait pas ce qu’ils font des dossiers », regrette-t-elle. L’audience du Conseil d’État se tiendra mercredi ; la décision sera ensuite mise en délibéré.

Dans un arrêt, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait effectivement rappelé, en 1992, que les personnes dans la situation de la requérante « ont un intérêt vital à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle ».