ELLE- édito

On peut penser que depuis une semaine Arthur Kermalvezen respire mieux. On peut imaginer que ce jeune homme de 26 ans, qui racontait l’an dernier, dans « Né de spermatozoïde inconnu… » (1), sa détresse de ne rien savoir sur le donneur à qui il doit la vie, a accueilli avec soulagement l’avis tout juste émis par le Conseil d’Etat. Pourquoi ? Parce que, en prévision de la révision de la loi de bioéthique l’an prochain, cette haute juridiction s’est penchée, entre autres, sur la question de l’anonymat des donneurs de sperme et d’ovocytes : ce principe, a–t–elle statué, « comporte à long terme des effets préjudiciables à l’enfant, essentiellement parce que ce dernier est privé d’une dimension de son histoire ». Elle propose donc que les enfants nés d’un don de gamète (ils sont 45 000 en France) puissent, à leur majorité, avoir accès à des informations sur leur donneur (comme sa profession ou sa couleur de cheveux) ou, si ce dernier est d’accord, connaître son identité.

Certains hurlent au scandale, arguant que l’on célèbre ainsi le primat des gènes, dans lequel baigne déjà notre société. C’est faux. C’est même tout le contraire. Il s’agit bien de remettre à sa place cette croyance délirante dans le tout biologique : si Arthur, comme les jeunes nés par insémination artificielle réunis dans son association (2), avait accès aux renseignements sur son donneur, il ne se découvrirait pas un nouveau père ! Il cesserait simplement de se poser dix mille questions vertigineuses sur son hérédité génétique. Il pourrait tranquillement remettre à sa place cette petite pièce manquante du puzzle de son identité. Et il continuerait évidemment à reconnaître et à aimer ses deux seuls parents, qui sont ceux qui l’ont élevé et chéri, ceux qui, lorsqu’il était petit, venaient lui faire un baiser le soir dans son lit.

Si l’on cherche à éliminer le donneur de la filiation, c’est au contraire parce qu’on lui accorde beaucoup trop d’importance, fantasmant qu’il s’agit par nature d’un rival pour le père ou la mère, comme s’il n’y avait qu’une seule et unique place. Comme si, précisément, c’étaient les gènes qui faisaient la parentalité ! Grave méprise ! Dans le cadre de l’insémination artificielle, le seul parent est celui qui élève son enfant. Voilà pourquoi quatorze pays ont déjà levé sans problème l’anonymat du don de gamète. Voilà pourquoi cet avis est une bonne nouvelle. Au passage, il rappelle cette évidence oubliée : un gamète (sperme ou ovocyte) n’est pas un simple « matériel » génétique, un « produit » anodin, une « substance » neutre et dépersonnalisable. C’est l’essence même de la vie. Ce n’est pas rien. Même s’il faut répéter qu’elle ne fera jamais d’un simple donneur un véritable parent.

(1) Avec Blandine de Dinechin (éd. Presses de la Renaissance).
(2) Procréation Médicalement Anonyme : pmanonyme.asso.fr

Par Dorothée Werner