Qui suis-je ?

J’aurai 29 ans cette année. J’ai appris à l’âge de 11 ans que j’avais été conçue avec l’aide d’un donneur anonyme, que mon père n’était pas mon géniteur, que mes cheveux ne venaient pas de ma grand-mère paternelle, que mes yeux ne venaient pas de mon père, qu’en définitive je ne ressemblais à personne. Ça a été le début d’une quête existentielle qui n’est pas près de se terminer. J’écris aujourd’hui ce témoignage pour les autres personnes conçues par don de gamètes qui peut-être pourront s’y identifier, pour les parents qui se demandent certainement ce qui se passe dans la tête de leur enfant. Peut-être pour mon donneur, comme une bouteille à la mer ?

Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours senti que quelque chose « n’allait pas » sans pouvoir vraiment mettre de mot dessus. Enfant, je continuais régulièrement à demander à ma mère comment j’avais été conçue. Je crois que quelque part je me doutais bien qu’il y avait quelque chose avec cette histoire de « graine » qui clochait ou simplement un morceau qui manquait…

Je me souviens très bien comment je l’ai appris, ce genre de moment ne vous quitte pas. J’avais 11 ans, nous étions en vacances, c’était peu avant que mes parents ne divorcent. Mon père a décidé que c’était le bon moment pour me dévoiler le pot aux roses. J’ai pleuré, il m’a offert une glace en me disant ça va aller.

Étrangement « ça allait » effectivement, pendant un temps j’ai même été soulagée. C’était comme une réponse à une question inconsciente que je me posais depuis bien longtemps. Et puis après tout si ça ne changeait rien à mon amour pour mes parents, ni à mon quotidien, finalement ce n’était « pas grave » ? D’ailleurs vous verrez que c’est ce que la plupart des personnes vous diront… Puis mon petit cerveau d’adolescente a fini par « processer » l’information, et l’ampleur réelle de sa signification. Si je ne ressemble pas à mon père comme on me l’a toujours dit, à qui dois-je mes traits ? D’où est-ce que je viens ? Qu’y a-t-il dans mes gènes ? Est-ce qu’il y a quelqu’un là, dehors, à qui je ressemble ? C’est là qu’un inconnu est entré dans ma vie pour ne plus jamais en sortir.

J’ai vécu mon adolescence assez tranquillement en me posant des questions de temps à autre sur l’identité de cet homme mystère qui s’était invité dans mes pensées. À cet âge-là, une si grosse part d’inconnu ça stimule l’imagination, je me perdais en conjectures un peu farfelues, m’attendant vaguement à recevoir ma lettre d’admission à Poudlard. Après tout, pour ce que j’en savais, pourquoi pas ?

C’est à l’âge de 18 ans que les questions ont commencé à me submerger. C’est là qu’a débuté ma quête d’une réponse à la question « qui suis-je ? ». Celle-ci s’est rapidement heurtée à la froide réalité de l’anonymat. Bon, après tout, il faut dire qu’il y a une certaine logique là-dedans. Puisqu’on essaie de nous convaincre que « ça ne change rien », que le donneur ce n’est « personne » et qu’il ne faut surtout pas y penser, faire comme s’il n’existait pas… Eh bien, que quelqu’un qui n’existe pas n’ait pas d’identité n’a rien d’étonnant non ? C’est du bon sens, c’est irréfutable, et c’est très sain comme façon de penser. D’ailleurs c’est « pour notre bien » justement. Formidable. Dans ma tête, incompréhension, impuissance et injustice se sont mêlées pour faire naître une colère sourde, un sentiment de révolte qui n’a fait que croître au fil du temps et de mes recherches.

J’ai découvert que depuis 1994 un donneur peut être « utilisé » jusqu’à 10 fois. Et avant ? Pas de réglementation, pas de limite. Donc potentiellement 10, 15 ou 20 frères et sœurs dans la nature ? Fantastique. Étant donné que nous avons tous quasiment le même âge, en général à 2-3 ans près, et que je vis dans une petite ville, j’en ai forcément croisé un sans le savoir. Dans le tram ? Dans un supermarché, un bar ? Moi qui croyais être fille unique. Ironie du sort. La question m’a bien vite obsédée et j’ai fini par déménager. Je vis aujourd’hui à 600km de mon lieu de naissance, je ne me pose plus de questions quand quelqu’un a les mêmes yeux que moi dans le bus, et c’est très bien comme ça.

J’ai ensuite découvert que, quand il s’agit de fonder un beau secret de famille, on ne fait pas les choses à moitié. Donc le donneur pouvait être choisi pour ressembler au père. Les yeux, les cheveux… Un peu comme une paire de chaussures sur un catalogue La Redoute … Histoire que ça colle bien avec toutes les conneries qu’on va te raconter, on pousse même jusqu’à matcher le groupe sanguin. Le groupe sanguin !! Bilan des courses : je ressemble plus ou moins à mon père et j’ai le même groupe sanguin que lui. C’est bien travaillé tout ça quand même, non mais c’est vrai ce serait con que le gosse fasse des études de bio et découvre qu’être AB+ avec des parents A- par exemple, ben ça ne colle pas. Rien de tel qu’un secret de famille bien préparé, bien enfoui et assisté par une organisation extérieure. Ça commence un peu à sentir comme la cave de mamie tout ça vous ne trouvez pas ? Le renfermé un peu écœurant qui moisit dans les coins ? En tout cas c’est l’impression que ça m’a fait.

De toute façon, qu’est-ce que j’y peux ? Rien. Ça a plus ou moins été la conclusion de cette première phase de révolte pas franchement constructive. Comme on me l’avait appris, j’ai essayé d’enfouir tout ça en essayant de me faire à l’idée que je ne saurais jamais.

Jusqu’au jour où, devant mon poste de télé, je tombe sur un homme conçu par don de sperme qui passe dans le Quotidien sur le sujet de l’insémination artificielle avec donneur (IAD). Il a trouvé son donneur !!! Mes questions et espoirs se réveillent d’un coup et sortent complètement de la léthargie dans laquelle je les avais soigneusement plongés.

À cette époque, je pensais que les tests ADN c’était bon pour NCIS ou les millionnaires qui ne savent pas quoi faire de leur fric, de la science-fiction pour moi quoi. Curieuse de savoir ce qu’il en est vraiment, je contacte l’association PMAnonyme le soir même. Je vais de surprise en surprise mais positives cette fois-ci ! Vincent, le président, répond à mon mail et me met en contact avec d’autres personnes de l’asso. J’ai pu discuter pour la première fois avec d’autres personnes issues d’IAD, comme moi. C’était fou de se rendre compte à quel point nous avons tous les mêmes questions, ressentis et souvent des vécus très proches. Pour la première fois je me suis sentie « comprise », et plus si seule, et ça fait beaucoup de bien.

Beaucoup de choses se sont passées depuis. D’abord, j’ai commandé un test ADN (23andme). J’ai reçu en une quinzaine de jours un petit tube qu’il faut renvoyer rempli de salive. Assez ironique quand on y pense de rechercher la provenance du tube à essai qui nous a fait naître avec un autre tube à essai, ça en dit long sur notre société… bref. J’ai ensuite commandé un second test (Ancestry) grâce à l’association, puis finalement, j’ai transféré mes données pour être sur tous les sites (MyHeritage et FamilyTreeDNA…). En deux ans, j’ai trouvé une demi-sœur, deux cousines paternelles, j’ai découvert mes origines, et je me rapproche de la trace de mon donneur. Tout cela est tellement frais que j’ai du mal à me livrer sur le sujet, mais je peux vous dire que même si ce voyage à la découverte de mes origines a été une vraie tornade émotionnelle, je le referais sans hésiter. J’ai la sensation que ce voile de mystère qui recouvrait mes origines était en réalité une chape de plomb et maintenant que j’en suis pratiquement libérée je me sens plus légère, plus libre, plus moi-même simplement… Je tiens à remercier toutes les personnes merveilleuses que j’ai rencontrées dans l’asso, qui ont rendu ces découvertes possibles, et m’ont soutenue à chacune de ces étapes à la recherche de la vérité…

cartes origines temoignage personne conçue par don