Tribune : L’accès à ses origines est un droit fondamental

Tribune de Vincent Brès, président de l’association PMAnonyme.

Des professionnels de la PMA persistent à nier aux personnes nées de dons le droit de connaître leur ascendance. Pour de mauvaises raisons (paternalisme, culture du secret), estime Vincent Bres, alors que des pays, comme la Suède ou l’Allemagne, ont assoupli leurs règles.


Lien de la tribune : http://www.liberation.fr/debats/2018/01/31/l-acces-a-ses-origines-est-un-droit-fondamental_1626514
Date : 31 janvier 2018

Plus de quarante ans après la création des Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), ses responsables sortent à nouveau de leur réserve à l’occasion des révisions des lois de bioéthique pour s’opposer à toute évolution. Bien que les professionnels de la PMA soient de plus en plus nombreux – surtout parmi les jeunes générations – à être favorables au droit d’accès à leurs origines des personnes nées d’un don de gamètes, les responsables des Cecos continuent à s’y opposer de tout leur poids. C’est pourtant une évolution que de nombreux pays ont déjà accomplie depuis la Suède en 1984 à l’Allemagne, en 2015.

La fédération des Cecos a parfaitement le droit de s’opposer, depuis des années, à une revendication de plus en plus forte venue des personnes concernées, appuyée sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et plébiscitée dans un nombre toujours croissant de démocraties. En revanche, les arguments que ses représentants donnent quand ils s’expriment dans les médias sont pour le moins surprenants pour des scientifiques et cliniciens de leur qualité. C’est pourquoi, en tant que personne née de don, je tiens à rétablir certains faits.

Passons d’abord sur le paternalisme chronique de ceux qui s’évertuent à nous considérer encore comme des «enfants», alors que pour beaucoup nous sommes devenus des parents nous-mêmes. Passons sur cette attitude de fond, méprisante envers les patients, pensant à leur place, décidant autoritairement ce qui est bon pour eux dans leur vie, leur faisant porter des responsabilités qui ne sont pas les leurs, comme ils le font avec nos parents accusés de défaillance parce que nous recherchons cette part inconnue de nos origines.

Car le vrai enjeu du débat, c’est le respect de la vérité scientifique. Les opposants à nos droits ont l’habitude d’agiter le chiffon rouge de la «chute des dons» qui se produirait inéluctablement si les donneurs n’étaient plus anonymisés à vie. Qu’en est-il vraiment ? Sur l’ensemble des pays qui ont rendu possible la levée de l’anonymat de sperme, un seul a vu reculer le nombre de ses donneurs, la Suède. C’était il y a trente-quatre ans et cela a duré un an : dès 1985, la situation de ce pays pionnier, qui a permis l’accès aux origines au moment où la France verrouillait dramatiquement le secret, s’était rétablie. Ailleurs, le nombre des donneurs n’a jamais baissé et on a même constaté une augmentation importante au Royaume-Uni.

En France, les professionnels de la PMA – qui jouissent d’une immense autorité et d’un grand pouvoir sur leurs patients – affirment aux donneurs de sperme que l’anonymat est le seul moyen qu’ils ne soient pas transformés en pères malgré eux. Ceux-ci les croient et, du coup, disent que c’est bien la condition de leur don. Mais la vraie question n’est pas là. Elle serait de les informer véritablement en cessant de cacher le don et d’arrêter de faire disparaître à jamais les donneurs comme si leur existence même était néfaste.

Le second argument des Cecos, déjà largement utilisé lors de la dernière révision des lois de bioéthique de 2011, concerne non plus les donneurs mais les parents. Si l’anonymat n’est plus garanti, on nous affirme qu’ils préféreront cacher à leur enfant son mode de conception. C’est le spectre du «retour du secret». La Suède serait face aujourd’hui à ce phénomène imprévu. Mais comment peut-on affirmer de telles contrevérités ? La première enquête nationale suédoise portant sur la révélation du mode de conception a été publiée en 2011 dans la revue Human Reproduction. Elle porte sur un échantillon représentatif de 544 parents ayant eu recours au don. Et bien ce pays bat tous les records européens de sortie de la logique du secret, avec 90 % des répondants se déclarant prêts à dire à l’enfant son mode de conception, et précisant qu’ils considèrent cela comme une «honnêteté» à l’égard de celui-ci et un respect de ses «droits»…

En France, une enquête du même type a été menée au même moment et publiée en 2010 dans la revue Andrologie. Il est intéressant de faire la comparaison : dans notre pays, alors qu’ils sont «protégés» par l’anonymat définitif, seuls 60 % des parents interrogés ont déclaré avoir l’intention de dire à l’enfant la vérité sur sa conception. Soit 30 points de moins que les Suédois ! Ces chiffres confirment ce que l’on pressentait : il y a un lien puissant entre la règle d’anonymisation définitive et le maintien en France d’une culture du secret et même du mensonge sur le mode de conception, que tout le monde déplore mais qu’on ne cesse d’alimenter, avec des règles juridiques et des pratiques médicales dont le seul but est de faire croire que le père stérile est le géniteur de l’enfant : le choix par les médecins d’un donneur du même groupe sanguin que le père n’a aucune autre justification.

Rappelons alors le sens de notre combat pour la justice qui nous est déniée. Nous ne demandons pas qu’on cesse d’anonymiser les gamètes, mais uniquement que les personnes nées de don aient le droit, à leur majorité, d’accéder à l’intégralité de leur dossier médical, incluant l’identité du donneur. Nous ne divisons pas les personnes nées de don, et nous respectons tout autant celles qui ne recherchent pas leurs origines et celles qui la recherchent : nous voulons simplement que toutes aient le choix. Nous ne pensons pas qu’un droit à l’information soit un droit à la rencontre : nous pensons que, pour se rencontrer, il faut être deux à le vouloir, et nous respectons trop les donneurs pour imaginer de leur imposer quoi que ce soit. Nous ne demandons pas une loi rétroactive, car ce serait contraire au droit et aux engagements pris envers ceux qui nous ont permis de naître. Nous ne cherchons pas des pères : nous en avons, nous les aimons, et ils nous soutiennent tout autant que nos mères. Nos problèmes ne sont pas psychologiques, comme on le prétend pour nous disqualifier. Notre combat est un combat pour le droit et la justice, parce que l’accès aux origines, notion désormais parfaitement distinguée de la filiation par la Cour européenne des droits de l’homme, est un droit fondamental des personnes. Ce que nous voulons ? Simplement cesser d’être privés par un secret d’état du droit reconnu à tous : pouvoir savoir par qui la vie nous a été transmise. Et enfin redevenir, comme l’a écrit la sociologue Irène Théry dans son ouvrage sur l’anonymat, «des humains comme les autres».

Vincent Brès président de l’association Procréation médicalement anonyme