Mensuel de Rennes

La banque du sperme, bientôt à découvert ?

de Julien Marchand

De la masturbation à la congélation de spermatozoïdes par azote liquide, la banque du sperme à Rennes vient en aide aux couples infertiles depuis 1976. Principe fondamental du don, l’anonymat est aujourd’hui menacé et pourrait être bientôt levé.

Qu’on se le dise : il n’y a aucun magazine de cul à la banque du sperme de Rennes. “Les messieurs viennent avec une revue s’ils le souhaitent. Les conjointes peuvent également les accompagner”, précise tout de même Dominique Le Lannou, le chef du centre d’études et de conservation des oeufs et du sperme humain (Cecos).
Installé depuis 2008 à l’Hôpital Sud, après de longues années à l’Hôtel–Dieu où il est né en 1976, le Cecos semble aussi bien gardé que la Banque de France. Chaque entrée se fait à l’aide d’un badge magnétique et seules six personnes du service ont accès à la pièce où le sperme congelé est entreposé.
Plusieurs centaines de milliers de doses d’insémination y sommeillent, plongées dans de l’azote liquide à – 196° celsius. Dans chacune des cuves, les paillettes de sperme sont soigneusement réparties selon un code couleur et un numéro de dossier. Les spermatozoïdes, congelés une demi–heure après l’éjaculât, y séjournent pour une durée moyenne d’un an.

“De façon clandestine”

Si la France manque de donneurs de sperme, la pénurie n’est pas à l’ordre du jour au Cecos rennais. Seul un perpétuel renouvellement est recherché, afin d’éviter tout risque de consanguinité dans la population.
Chaque année, l’Hôpital Sud accueille entre 70 et 110 donneurs venant de Bretagne et des Pays–de–la–Loire. “Pour pouvoir donner son sperme, il faut être en bonne santé, avoir moins de 45 ans, être déjà père et avoir l’accord de sa conjointe. Depuis 2004, les pères célibataires peuvent également donner. Ce sont les seules conditions”, explique le boss du deuxième Cecos de France en terme d’activité. Concernant le don d’ovocytes, près de 120 donneuses de moins de 37 ans (l’âge limite) ont passé la porte de ce service, en 2008, pour venir en aide aux couples infertiles.
C’est ainsi que, chaque année, plus de 200 enfants voient le jour par l’intervention du Cecos de Rennes. Depuis 1976, près de 8 000 naissances ont été possibles grâce à son travail.
“Quand nous sommes arrivés au début, on nous a pris pour des rigolos, se souvient Dominique Le Lannou. L’assistance médicale à la procréation n’était pourtant pas une technique nouvelle. Elle était même plutôt ancienne : les inséminations se faisaient déjà, mais de façon clandestine, avec le consentement d’un gynécologue. Les Cecos ont simplement officialisé cette pratique.”

Révision des lois de bioéthique ?

Principe absolu du don, l’anonymat est aujourd’hui de plus en plus discuté. Aux Etats généraux de la bioéthique qui se tenaient à Rennes, en juin dernier, la levée de l’anonymat des donneurs a été évoquée. La loi actuelle de bioéthique, qui stipule que “le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur” est–elle en sursis ? En attendant sa probable future révision, certaines personnes, issues d’un don, militent activement pour la fin de l’anonymat.
C’est le cas de l’association PMA (procréation médicalement anonyme) qui souhaite que “chaque être humain ait le droit de connaître ses origines quelque soit son mode de conception”. Pour Pauline Tiberghien, sa présidente, le donneur existe aux yeux de l’enfant. “C’est un donneur d’hérédité. Sa place est importante. Il représente une part biologique, une réalité qu’on ne peut nier.”
A la demande du Premier ministre Fillon, le Conseil d’Etat a également mené une étude pour “identifier les lacunes de la législation actuelle et envisager des solutions pour l’avenir”. Là encore, l’anonymat apparaît dans le collimateur puisque ce rapport du mois de mai dernier estime que “l’application radicale du principe d’anonymat comporte à long terme des effets préjudiciables, essentiellement parce que l’enfance est privé d’une dimension de son histoire, que son identité est fondée sur l’effacement de l’intervention d’un tiers”.
Dominique Le Lannou, lui, défend le système actuel. “Si l’anonymat n’est plus préservé, les donneurs peuvent s’attendre à ce que les enfants viennent un jour les voir. Or, s’ils acceptent de donner, c’est pour aider des couples et non pour assumer une nouvelle paternité.” Le chef de service craint également qu’une évolution de la loi ait une incidence sur le nombre de donneurs.
Pauline Tiberghien, quant à elle, estime que “si un donneur ne veut pas assumer, il a le choix de ne pas donner” et que, quelque soit la situation, “l’intérêt de l’enfant doit primer”.
A l’image de la Suède, premier pays européen à lever l’anonymat en 1984, ou de l’Angleterre qui a dernièrement changé sa législation, la France va–t–elle, elle aussi, passer le cap ? La fin de l’anonymat est–elle programmée pour 2010 ? Les lois de bioéthique devraient être réexaminées dans le courant de l’année prochaine.