Le Monde- 22 janvier 2011

 

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 » Je sais bien que mon donneur n’est pas mon père  »
Il dit s’être toujours douté de quelque chose sans jamais parvenir à mettre des mots sur son malaise.  » Quand j’étais petit, j’avais l’impression qu’il y avait un problème autour de ma naissance, raconte Clément, un étudiant âgé de 21 ans, qui préfère garder l’anonymat. Je voyais que je ne ressemblais pas à mon père, je me disais que c’était bizarre et je posais des tas de questions à mes parents. Mais ils ne me répondaient pas trop, et j’ai fini par me demander si je n’avais pas été adopté.  »
Un jour, alors qu’ils sont tous deux à la pêche, son père se tourne vers lui pour lui expliquer qu’il est né d’une insémination artificielle avec donneur.  » Je me suis jeté dans ses bras pour lui dire qu’il était mon père, poursuit Clément. Je l’admire beaucoup pour son courage. Cette révélation a été un choc, bien sûr, mais cela m’a fait beaucoup de bien de savoir comment j’étais né : je n’avais plus besoin de fantasmer sur autre chose, mes interrogations venaient de là.  »
La révélation de son père le soulage, mais elle ouvre la porte à d’autres questions. Qui est le donneur ? Pourquoi a–t–il décidé d’aider des couples infertiles ? A–t–il des enfants ? Ses parents ne peuvent l’aider : en raison de l’anonymat des dons, ils ignorent tout de l’homme qui leur a permis de devenir père et mère. Clément demande donc le dossier de son donneur au Centre d’études et de conservation des oeufs et du sperme de l’hôpital Cochin, à Paris.
 » Une faute grave  »
En janvier 2001, Clément apprend que les documents n’ont pas été retrouvés : seul le dossier concernant la stérilité de ses parents a été conservé.  » Je suis ulcéré,explique–t–il. Le code de la santé publique est pourtant clair : en cas de « nécessité thérapeutique », on doit pouvoir accéder aux informations médicales sur le donneur. Il y a des maladies qui se transmettent de génération en génération, il peut être utile de retrouver sa trace. Perdre un dossier, c’est une faute grave.  »
Clément veut poursuivre ses recherches, même s’il ne souhaite pas particulièrement rencontrer son donneur : il veut simplement connaître son identité, découvrir sa profession, savoir pourquoi il a fait un don de sperme.  » Ce n’est pas une question de souffrance, c’est une question de droit, conclut–il. Je ne vois pas pourquoi la loi m’interdirait de connaître mon histoire. Mais je ne veux pas établir de liens familiaux avec mon donneur : je sais bien qu’il n’est pas mon père. »
Les députés s’opposent à la levée de l’anonymat du don de gamètes
La commission de l’Assemblée chargée d’examiner le projet de loi bioéthique devrait rejeter cette disposition
Il y a à peine trois mois, la levée de l’anonymat sur les dons de gamètes apparaissait comme la mesure phare de la révision des lois de bioéthique.  » Grâce à ce dispositif, les enfants issus d’un don de sperme ou d’ovocytes n’auront plus l’impression de se heurter à un mur aveugle dressé par la loi « ,expliquait alors la ministre de la santé, Roselyne Bachelot. Au nom de l’intérêt de l’enfant, le texte avait été adopté, le 20 octobre 2010, par le conseil des ministres.
Trois mois plus tard, cette réforme semble susciter bien des réserves au sein de l’Assemblée nationale. Au point qu’elle ne sera sans doute pas votée par les députés.  » Dans la commission chargée d’examiner le projet de loi, la plupart des députés sont hostiles à la levée de l’anonymat sur les dons de gamètes ,affirme son rapporteur, le député (UMP, Alpes–Maritimes) Jean Leonetti. Je vais proposer un amendement supprimant cette disposition : il a de fortes chances d’être adopté.  »
Au sein du PS, la tonalité n’est guère différente.  » Nous sommes hostiles à la levée de l’anonymat, renchérit Catherine Génisson, membre de la commission et députée (PS, Pas–de–Calais). Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’hésitations dans notre groupe : nous voulons affirmer le primat de la filiation affective et sociale sur la filiation génétique. Nous nous situons d’ailleurs dans le droit–fil de la position du PS : en décembre 2010, le bureau national a dit son opposition à la levée de l’anonymat.  »
Le texte pâti également du départ du ministère de la santé de Roselyne Bachelot, convaincue de la nécessité d’une levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes. Le dispositif choisi restait toutefois modeste : les enfants nés d’un don de sperme ou d’ovocytes – plus de 1 000 en 2009 – devaient, à leur majorité, pouvoir accéder à l’identité de leur donneur mais seulement si celui–ci donne son accord.
Les donneurs ne deviendraient pas pour autant des parents : la levée de l’anonymat ne créera aucun lien de filiation. Le donneur pourra rencontrer l’enfant mais il ne pourra en aucun cas se mêler de son éducation, demander un droit de visite ou verser une pension alimentaire. La France s’inspire ainsi des principes retenus par les pays européens qui ont levé l’anonymat : la Suède, la Suisse, l’Autriche, l’Islande, la Norvège, les Pays–Bas, le Royaume–Uni, la Finlande et la Belgique.
 » Ni vu ni connu  »
En France, la règle de l’anonymat est née dans les années 1970, lors de la création des Centres d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (Cecos) qui prennent en charge les couples qui demandent une aide médicale à la procréation. A l’époque, le sperme était considéré comme du simple matériel génétique et l’anonymat du donneur permettait aux parents de taire l’existence de l’insémination artificielle. C’était, résume la sociologue du droit Irène Théry dans Des humains comme les autres(EHESS, 2010), le règne du  » ni vu ni connu « .
Trente ans plus tard, 50 000 enfants ont été conçus grâce à un don et certains demandent à connaître l’identité de celui ou celle qui leur a transmis la vie.  » Nous revendiquons la possibilité, comme chacun d’entre vous, de pouvoir simplement nous inscrire dans une histoire, expliquait à la commission Audrey Gauvin, membre de l’association Procréation médicalement anonyme (PMA). Car nous sommes, comme vous, issus d’une histoire humaine, pas d’une paillette !  »
Certains de ces enfants ont le sentiment de former une catégorie à part. Et du point de vue du droit, ils n’ont pas tort : ils  » sont les seuls qui, de par la loi, se voient privés du droit de connaître à qui ils doivent d’être né « ,soulignait Irène Théry devant la commission.  » Ce ne sont pas des considérations psychologiques sur le vécu des enfants ainsi conçus qui ont amené ces pays à revoir leur législation mais un souci de respect des droits fondamentaux de la personne « ,précisait–elle.
La levée de l’anonymat se heurte cependant à une forte opposition des Cecos : ils craignent une chute des dons – qui n’a pas été observée en Suède ou au Royaume–Uni – mais, surtout, ils souhaitent protéger les parents.  » L’anonymat permet de dépersonnaliser les gamètes, ce qui facilite leur réinvestissement et leur humanisation par le couple receveur « , expliquait à la commission Jean–Marie Kunstmann, le vice–président de la Fédération nationale des Cecos.
Ces arguments semblent avoir convaincu les députés.  » Nous ne voulons pas fragiliser les parents en autorisant une quête des origines génétiques, explique Hervé Mariton, député (UMP, Drôme). Refuser la levée de l’anonymat, c’est affirmer l’existence d’une véritable parenté de coeur.  » La commission adoptera une position définitive les 25 et 26 janvier.