Le Figaro 15 février 2011

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Témoignage de Audrey POULAIN
«Je cherchais mon donneur dans la rue»

TEMOIGNAGE – Alors que le vote solennelle du projet de loi bioéthique intervient mardi à l’Assemblée nationale, une jeune femme, née il y a 37 ans d’une insémination artificielle, raconte au Figaro.fr son combat pour connaître ses origines.

«Si je n’avais rien demandé, je n’aurais pas su». En une seule phrase, Audrey Poulain résume le tabou qui a pesé sur les trente premières années de sa vie. Les «si tu savais» si souvent répétés par sa mère, cette impression d’avoir une famille différente des autres, ses doutes sur ses ressemblances avec sa sœur… Pendant toutes ces années, Audrey a vécu sans savoir qu’elle avait été conçue à l’aide d’une insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD), son père étant stérile. Trente longues années au cours desquelles elle n’a cessé de se poser des questions. En silence.

Lorsqu’elle évoque son enfance, Audrey se souvient de l’image de famille modèle, avec un père professeur et une mère employée de banque. «Nous étions plutôt gâtées avec ma sœur et j’ai vécu une scolarité sans accroc, avec des amis. Pourtant, dans mon for intérieur, j’ai toujours eu l’impression que notre famille différait des autres, qui me paraissaient toutes plus soudées», se rappelle cette mère de trois filles, aujourd’hui âgée de 37 ans. Une différence qui l’a tout d’abord incité à penser qu’elle avait été adoptée. «J’ai toujours ressenti un doute qui planait au–dessus de moi. Je ne ressemblais pas à ma sœur, qui est née elle aussi d’une IAD avec un donneur différent. Mais à l’époque, je ne savais pas qu’on pouvait faire des dons de sperme. Je ne pouvais donc rien imaginer ! Je ne me sentais juste pas faire partie de cette famille», résume la jeune femme, qui fait partie des près de 50.000 personnes nées d’un don anonyme de gamètes (sperme ou ovocytes) en France.

«Je me sens coupée en deux»

Pendant toutes ces années, Audrey n’a jamais parlé de ses doutes. Ni avec sa sœur, dont elle n’était pas très proche, ni avec ses parents, sentant le poids du tabou sur sa famille. Ce n’est qu’au moment de leur divorce que le voile s’est levé, découvrant la vérité sur sa conception. «Leur séparation a ouvert les vannes et a permis à ma mère de me raconter le secret qu’ils avaient gardé pendant tant d’années, raconte–t–elle. Heureusement, j’avais déjà trente ans et j’étais mariée avec deux enfants. Une situation stable qui m’a aidé à tenir le coup à l’annonce de cette nouvelle».

Lorsqu’elle repense à ce moment, Audrey évoque une «deuxième naissance», qui a permis de «répondre à toutes les questions» qu’elle se posait depuis toujours. Un bouleversement qui a toutefois eu des conséquences sur sa vie. «Je me suis mise à regarder les gens dans la rue à la recherche de mon donneur. J’ai même demandé au père de mon mari s’il n’avait pas fait de dons de sperme, de peur que nous ayons le même père !» Si sa filiation n’est pas devenue une obsession pour elle, cette mère de famille affirme en revanche qu’elle y pense encore tous les jours. «Je me sens coupée en deux, c’est comme si je ne connaissais pas une partie de moi, détaille–t–elle. Et c’est sans compter le fait que j’ai sûrement beaucoup de demi–frères et sœurs car à l’époque, il y avait encore moins de contrôles qu’aujourd’hui…».

«Lever une part du mystère»

Elle a par ailleurs refusé d’entretenir le tabou qui avait plané sur sa famille pendant des années. Alors que personne dans l’entourage des ses parents ne connaissait le secret de sa conception à part sa tante, elle a décidé de dire la vérité à ses filles. «Je leur ai raconté que ma mère avait dû prendre la petite graine d’une autre monsieur, mon père n’en ayant pas, explique Audrey. Seul mon père, décédé il y a quatre ans, n’a jamais su que je savais. C’est mieux comme ça, je pense qu’il l’aurait mal vécu…».

Aujourd’hui, Audrey milite avec l’association Procréation médicalement anonyme (PMA) http://pmanonyme.asso.fr/ pour la levée de l’anonymat du don de gamètes en France. «J’ai tenté différentes procédures pour retrouver mon géniteur, mais je suis dans une impasse. Mes parents ont eu recours à un don avant la création des Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains), ce qui réduit quasiment mes chances de le retrouver à zéro. Et ma mère, pour qui ce sujet reste tabou, ne sait pas non plus», regrette–t–elle, tout en affirmant ne pas chercher «un père de substitution». Et Audrey de conclure : «Je souhaite juste voire son visage ou au moins connaître son nom. Le retrouver me permettrait de lever une part du mystère et de pouvoir m’inscrire dans une histoire humaine, tout simplement»