150 enfants nés d’un même donneur de sperme ? En France aussi, c’est possible

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Il y a quelques mois, les dérives dans le cadre de dons de sperme multiples avaient défrayé la chronique aux Etats–Unis : une mère avait retrouvé 150 « frères » et « sœurs » de son enfant, tous nés du même donneur ! Dérive impossible en France ? Pas si sûr. Pauline Tiberghien et Audrey Gauvin de l’association PMA, font le point.

Nous nous permettons de réagir, suite à l’article publié sur le Plus, intitulé « le don de sperme illimité : une dérive surréaliste ».

L’auteure écrit que contrairement aux Etats–Unis où le nombre d’enfants nés d’un même donneur de sperme n’est pas limité, en France le recours aux gamètes d’un même donneur ne peut délibérément conduire à la naissance de plus de dix enfants.

Il est juste que la loi fixe le nombre maximal à 10 mais nous tenons toutefois à attirer votre attention sur les points suivants :

1. Une limite légale n’existe que depuis 1994. Au moment de la conception de la plupart des personnes nées de donneurs en France, aucune limite légale n’existait.

La situation décrite par ce donneur américain n’est donc pas exclue en France, d’autant plus que jusqu’en 1976, certains centres rémunéraient les dons. Il ressort par exemple d’une enquête, menée au centre de l’hôpital Necker de 1975, que deux profils de donneurs se dégageaient :

– les « altruistes » d’une part
– les « professionnels du don » d’autre part, l’auteur citant même pour exemple, concernant cette dernière catégorie, le livre « Le donneur » écrit par Guy Des Cars qui relate l’histoire vraie d’un homme qui a donné son sperme pendant 20 ans à Paris et qui a mis au monde 4320 enfants.

Monsieur Jean LEONETTI en est pleinement conscient puisqu’il a indiqué dans un article de presse qu’un donneur a pu potentiellement donner naissance à des dizaines d’enfants ( en contradiction avec la loi).

Or, si le législateur a fixé la limite à dix, c’est bien qu’il y a une raison à cela et, en toute hypothèse, nul ne peut s’affranchir d’une loi, même s’il ne la trouve pas justifiée.

L’allégation de Jean–Marie Kunstmann, directeur du CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme), allégation selon laquelle le fait que 20 enfants nés d’une même personne les exposerait à un risque de consanguinité équivalent à celui de la population générale, ne repose sur aucune étude scientifique. Cet argument avait déjà été avancé par l’Agence de la biomédecine et celle–ci n’a jamais été en mesure de nous communiquer une quelconque étude scientifique démontrant cette allégation.

2. Même aujourd’hui, cette limite légale n’est pas forcément respectée en pratique : si chaque centre contrôle effectivement que le sperme qu’il a recueilli ne donne pas naissance à plus de dix enfants, il n’y a aucune concertation entre les centres.

Aucune base de données commune aux 24 CECOS n’a été mise en place pour s’assurer que le maximum de 10 enfants conçus par donneur – fixé par la loi pour limiter le risque de consanguinité – n’a été dépassé. Or, les donneurs qui veulent « s’assurer la descendance la plus nombreuse possible », quitte à s’inscrire dans plusieurs centres, voire dans les 24 à la fois, existent.

Le président de la fédération française des CECOS, Louis Bujan, l’a admis dans un article de l’Express « Pourquoi je donne mon sperme », précisant avoir déjà rencontré ce genre de donneurs, et même avoir accepté l’un d’eux, après lui avoir simplement réexpliqué « l’esprit du don ».

En novembre 2010, il a indiqué qu’une « sérieuse alerte a poussé la fédération à inventer un système permettant de repérer les cas suspects ». Chaque CECOS communiquerait désormais les dates de naissance de ses candidats à celui de Toulouse, qui les confronterait. Si deux dates coïncident, les centres concernés vérifieraient le lieu de naissance

La fiabilité de ce système très récemment mis en place paraît plus que douteuse puisque nul ne peut affirmer qu’il est assorti d’une procédure écrite et d’une quelconque vérification des simples dires du candidat au don : à l’Agence de la Biomédecine, il nous a été dit que l’identité des donneurs n’était pas systématiquement vérifiée.

Il est indispensable de créer un fichier commun à tous les CECOS qui contiendrait l’identité des donneurs, lesquels pourraient être identifiés via leur numéro de sécurité sociale corroboré par leur pièce d’identité, qui permettrait à chaque centre de vérifier que le candidat au don n’a pas déjà donné dans un autre centre. Nous avons alerté les députés et les sénateurs de tout cela durant les discussions parlementaires.

Pauline TIBERGHIEN
Gynécologue–Médecin de la reproduction
Présidente de l’association PMA : http://pmanonyme.asso.fr/

Audrey GAUVIN
Avocate – Intervenant notamment en droit de la bioéthique
Membre de l’association PMA

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