Tribune dans l’Humanité

Tribune de Vincent Brès, président de l’association PMAnonyme.

Des professionnels de la PMA persistent à nier aux personnes nées de dons le droit de connaître leur ascendance. Pour de mauvaises raisons (paternalisme, culture du secret), estime Vincent Bres, alors que des pays, comme la Suède ou l’Allemagne, ont assoupli leurs règles.


Lien de la tribune : https://humanite.fr/don-de-gametes-cellules-reproductrices-humaines-quest-ce-qui-justifie-lanonymat-650480
Date : 14 février 2018

La tribune de Vincent Brès président de l’association Procréation médicalement anonyme

Plus rien ne justifie l’anonymat. Ou devrais-je dire, plus rien ne justifie un système basé sur un anonymat absolu et irréversible des donneurs et donneuses de gamètes tel qu’il a été créé il y a plus de 40 ans. A l’échelle des évolutions de la société, 40 ans c’est long. Et rien ne justifie que ce dogme ne soit pas dénoncé pour ce qu’il est : anachronique et injuste.

Entendons nous bien d’abord : tout anonymat ne doit pas être balayé. Il ne s’agit pas non plus de désanonymiser des donneurs qui ont déjà donné dans le contexte de l’époque. L’identité du donneur ne concerne pas les parents et encore moins le reste de la société. Non, ce que demande l’association PMAnonyme depuis 15 ans, c’est la reconnaissance du droit d’accès aux origines pour les personnes nées de don de gamète.

Nous demandons la mise en œuvre de deux mesures plutôt simples. Elles ont l’avantage de n’enlever rien à personne et d’offrir un droit à ceux qui en étaient privés. La première mesure concerne le futur : le principe demeure celui de l’anonymat sauf si la personne née du don en fait la demande à sa majorité. Alors seulement, si elle le souhaite, cette personne obtient l’identité de son donneur. Le don est donc fait, 18 ans et 9 mois plus tôt au moins, en connaissance de cause. La seconde mesure concerne le passé et les personnes déjà conçues par insémination avec tiers donneur. Pour eux il ne s’agit ni plus ni moins que d’avoir le droit de demander. De demander à un médiateur, via une institution créée dans ce but, d’informer le donneur qu’une personne qui lui doit une partie de son hérédité cherche à en savoir plus. La suite dépend des protagonistes mais rien n’est imposé à personne.

C’est simple, légitime et plein d’avantages.

Tout d’abord, accorder ce droit va éviter à la France de se faire condamner par la Cour Européenne des droits de l’Homme saisie par deux membres de l’association. Dans une jurisprudence constante, la CEDH a consacré le « droit pour toute personne d’accéder à l’ensemble de ses origines personnelles ». Aucun doute là dessus : le couperet va un jour tomber. Autant s’y préparer.

Ensuite, et contrairement aux légendes forgées par les gardiens du temple d’une PMA inchangée dans ses principes depuis 40 ans, ce droit d’accès aux origines va augmenter le nombre des donneurs et donneuses de gamètes. Les pays qui sont passés dans le régime du droit d’accès aux origines l’ont démontré : la Suède, pionnière en la matière, la Suisse, mais aussi le Royaume-uni qui a vu en 10 ans le nombre de ses donneurs multipliés par deux. Dans un contexte où l’on nous parle de pénurie de gamètes et où se prépare l‘ouverture de la PMA à toute les femmes, n’est-ce pas la solution ?

Enfin, cela va enrayer l’un des plus néfastes effets de ce système à la française : le secret. Plus aucun spécialiste sérieux ne met en doute les effets délétères du secret de famille et il est aujourd’hui recommandé aux parents de ne pas taire ces modalités de conception. Et pourtant trop peu encore des personnes nées de don le savent. En 2010 deux études, en France et en Suède, posaient aux parents la question du choix de la révélation de ce mode de conception. En France, pays du “ni vu ni connu”, seulement 60% des parents faisaient le choix de le dire, contre 90% de leurs homologues suédois dans un contexte de droit d’accès aux origines pour leurs enfants. CQFD.

Et puis a-t-on vraiment le choix ? Au delà de nos frontières, mais aussi récemment chez nous, de très nombreuses personnes en quête de cette part inconnue de leur hérédité font des tests génétiques, disponibles très simplement sur internet pour une centaine d’euros. Ils font la preuve jour après jour d’une réalité qui rend caduque la question : comment justifier un anonymat qui n’est plus techniquement garanti ?


La tribune d’Irène THÉRY

Lorsqu’on évoque la « levée de l’anonymat » des donneurs de gamètes, de multiples malentendus s’ensuivent. Il s ‘agit simplement de permettre aux personnes nées de don d’accéder à leur majorité à leurs origines, autrement dit à l’identité de leur donneur.

Un donneur n’est pas un parent et ne peut en aucun cas le devenir, les personnes nées de don ont déjà des parents qu’elles aiment et qui les aiment, et c’est justement l’intérêt du mot « origine » en droit : il exclut toute filiation. Loin de diviser les personnes nées de don entre celles qui ne souhaitent pas connaître leurs origines et celles qui le souhaitent cette possibilité donnerait à toutes le même droit de choisir.

Pourquoi faut-il accorder l’accès à leurs origines aux personnes nées de don ? Parce que c’est un droit humain fondamental que de ne pas être privé par l’Etat de l’accès à notre dossier médical, à tout dossier administratif, et plus généralement à une information importante nous concernant. En instaurant une catégorie d’enfants « à part » de tous les autres, ceux qui ne pourront jamais avoir de réponse à la question, « à qui dois-je d’être né ? », l’Etat s’est rendu coupable d’une véritable discrimination ontologique. Elle n’a aucun rapport avec les secrets de famille qu’on invoque parfois à propos des enfants qui ne seraient pas de leur père, car ici c’est bien un secret d‘État qui est en cause. Comble de perversité, cette information est considérée comme si importante qu’elle doit être conservée pendant plusieurs décennies dans une armoire forte accessible aux seuls médecins. Cette situation cadenassée crée de toutes pièces le sentiment d’injustice radicale et de possibles désarrois psychiques.

Tous ces montages ont une longue histoire. Dans les années 1970 toute la PMA avec don a été organisée sur le principe du secret : il fallait faire passer le mari stérile pour le géniteur de l’enfant. L’anonymat du don garantissait ce secret. Ensuite, on a cessé de valoriser ces montages mensongers, mais en France (à la différence de très nombreux pays) on n’a ni accompagné les parents, ni écouté les revendications des enfants, devenus des adultes.

Dans la première génération de médecins et de psychologues de PMA, certains osent encore aujourd’hui affirmer que ces jeunes adultes sont une menace pour les donneurs et pour la société. Présupposant qu’ils ne pourraient que faire un mauvais usage de l’information sur leur identité, ils se targuent de les préserver contre eux mêmes… Avec un paternalisme aussi sûr de lui, on est arrivé peu à peu à une situation qui mérite d’être méditée.

Le droit aux origines a été reconnu à des personnes dont la naissance a été entourée de drames, qui ont vécu la tragédie de l’abandon. Les personnes adoptées ont eu accès à leur dossier en 1978. Puis en 2002, on a permis aux personnes nées sous X de rechercher leur mère de naissance, dans le respect absolu de la volonté de celle-ci. Les parents adoptifs qui ont accompagné leurs enfants dans leur quête, en sont sortis confortés dans leur place de parents. Mais aujourd’hui, on ne reconnaît toujours pas ce droit humain fondamental à des personnes qui pour leur part n’ont jamais eu d’autres parents que leurs parents, ont été les plus désirés des enfants, dont la conception s’est faite sans aucune ambiguïté sur les rôles et places respectives de chacun, qui sont nées sans aucun drame, et qui ne menacent personne, ni leurs parents qu’elles aiment, ni leurs donneurs auquel va leur reconnaissance. Agiter les peurs et faire de la panique morale par tous les moyens n’est rien d ‘autre que le signe d’une incompréhension devant le changement sociétal en cours : oui, au XXIe siècle, avoir fait un don, avoir construit une famille grâce au don, être soi-même né d’un don doit cesser enfin d’être caché comme une honte, et au contraire valorisé comme une formidable innovation médicale, familiale, sociale et humaine.