TOP SANTE décembre 2010

Dossier de Sophie Viguier

1// QUESTION RESPONSES C.FLAVIGNY – P.TIBERGHIEN
Depuis la première loi de bioéthique de juillet 1994, le don de gamètes est anonyme en France et devrait le rester, au moins partiellement. Qu’est–ce qui justifie cette mesure ?

Christian Flavigny : On invoque aujourd’hui un intérêt pratique en faisant valoir que si les donneurs pouvaient être identifiés, il n’y aurait plus de donneurs du tout. C’est peut–être ce qui se produirait si un nouveau texte levait totalement l’anonymat, mais l’esprit de la loi va beaucoup plus loin. Il s’agit avant tout de permettre à une famille d’exister. Si l’homme qui a fait un don de sperme (puisqu’il s’agit essentiellement de don de spermatozoïdes en France) reste présent dans l’horizon familial, les liens de filiation ne peuvent s’établir clairement et se consolider au fil du temps. Or, il faut rappeler que l’intérêt de l’enfant et celui de la famille sont indissociables. Cet anonymat évite enfin à l’enfant de se sentir en dette vis à vis du donneur. Seule subsiste la relation qui le lie à ses parents et par laquelle il peut se construire sans être écartelé entre plusieurs origines.

Pauline Tiberghien : Je crois que cet anonymat vient palier la crainte ancestrale des hommes de ne pas être le géniteur de leur enfant. Avec cette loi, on agit comme si le donneur de gamètes n’avait pas existé. On le gomme et l’on s’arrange ensuite avec ce déni de la réalité. Pourtant on sait que les secrets de famille font du mal et quand les parents révèlent à leur enfant né d’une IAD sa conception particulière, l’anonymat ne leur permet pas d’aller jusqu’au bout de la révélation. Evidemment, ils ne sont pas responsables de cette situation et ils font ce qu’ils peuvent. Il est seulement dommage que cette loi génère une hypocrisie et la fasse payer très cher aux enfants.

Qu’est–ce qui motive tant les enfants nés d’une IAD à se mobiliser en faveur de la levée de l’anonymat ?

Christian Flavigny : D’abord, il faut rappeler que tous les enfants IAD ne sont pas demandeurs de la levée de l’anonymat. La grande majorité vit très bien avec cette composante de leur histoire. Seule une minorité d’entre eux est en souffrance et milite pour la modification de la loi. Bien sûr, il faut entendre leur souffrance, la comprendre et pour ma part, j’y vois plusieurs explications. La société actuelle valorise deux choses : la recherche de nos origines historiques ou familiales, et le patrimoine biologique. Il est donc normal que ces enfants pensent devoir connaître leurs origines génétiques pour vivre en harmonie. Néanmoins, j’observe qu’ils se trompent de problème. Leurs maux ne viennent pas de l’impossibilité de connaître leur géniteur, mais d’un manque de confiance et d’estime d’eux mêmes, comme tant de jeunes en souffrent, qu’ils soient issus d’une IAD ou non, d’ailleurs. Se dire : « si je vais mal, c’est parce que je n’ai pas grandi là où j’aurais dû et que je ne sais pas d’où je viens » ne permet pas de résoudre les difficultés de filiations réelles au sein de la famille. L’imaginaire qui enveloppe le donneur est un refuge autant qu’un leurre. Leur histoire est celle qui s’est jouée depuis leur naissance avec les parents qui les ont élevés et c’est auprès d’eux qu’ils peuvent trouver des solutions. La société doit résister à l’émotion que soulève la demande de ces jeunes, au risque d’avoir des parents démissionnaires qui pourront eux aussi se réfugier derrière un donneur pour ne pas s’engager pleinement dans la relation avec leur enfant.

Pauline Tiberghien : Nous avons tous besoin de savoir d’où nous venons pour savoir qui nous sommes. Que les médecins sache tout et cachent des informations essentielles aux principaux intéressés est insupportable ! Notre demande de pouvoir accéder aux données concernant les donneurs s’inscrit purement dans une quête identitaire et les 85 IAD membres de l’association n’ont qu’un seul point commun : ils veulent pouvoir CHOISIR de savoir ou de ne pas savoir qui est leur donneur. Peu d’entre eux envisageraient de le rencontrer, beaucoup aimeraient avoir une photo de lui et quasi tous veulent savoir POURQUOI il a donné. Ces jeunes ont des parents et ne sont en quête que d’EUX–MEMES… Pas d’un autre parent. Ils veulent justement s’entendre dire : « Je ne suis pas ton père. Je suis ton donneur d’hérédité et cela, je l’assume. J’ai donné pour que tu sois heureux avec tes parents ». Sans cette pièce indispensable, ils ne peuvent compléter le puzzle de leur vie pour construire leur existence. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si les plus militants ont généralement la trentaine, un âge où l’on pense devenir soi–même parents. Mais le peuvent–ils sereinement dans ces conditions ?

Les enfants déjà nés d’une IAD ne connaîtront jamais leur géniteur. Comment les aider à trouver leur place ?
Christian Flavigny : La meilleure chose que les parents puissent faire pour aider leurs enfants, c’est de classer une fois pour toute l’histoire de l’IAD et de s’investir pleinement dans la construction de la famille. Il n’est pas question d’en faire mystère et le mieux est d’en parler aux enfants, idéalement avant l’adolescence. S’ils sont confrontés plus tard à des remarques désagréables d’ados en révolte, du genre « je fais ce que je veux, t’es pas mon père », il est important de réagir sur le vif pour réaffirmer la filiation en disant : « si, je suis ton père (ou ta mère s’il y a eu don d’ovule). Je me suis battu pour que tu sois là, c’est moi qui t’ai élevé et je suis là pour te dire ce qui est bien pour toi. » Voilà qui va rassurer les jeunes et les renvoyer à des repères positifs autant que constructifs.

Pauline Tiberghien : Révéler l’origine de la naissance à ces enfants est primordial. Mais les parents sont–ils préparés à ça ? Il est invraisemblable qu’aucun suivi psychologique ne soit prévu pour accompagner ces familles au fil des années. Il faut aider les parents à se sentir sûrs de leur statut de père et de mère, à pouvoir accueillir le questionnement identitaire de leurs enfants. Si, avant qu’ils aient recours à un don, on les aidait à se poser les bonnes questions au lieu de brandir le spectre du dangereux donneur, les parents seraient rassurés sur le fait qu’ils sont les seuls parents. Ils n’auraient plus peur et rien à cacher.

2//témoignage Audrey, 37 ans, née d’une IAD en 1973 avant même la création des CECOS, et maman de deux enfants.

« Quand je vois un homme de la soixantaine qui me ressemble dans la rue, je me demande si ce n’est pas mon donneur. »

« J’ai appris très tardivement que mes parents avaient eu recours à un don de sperme. J’avais plus de trente ans et je venais de donner naissance à ma deuxième fille. Plusieurs année après son divorce, ma mère a fini par me dire son secret. Cette révélation m’a soudain permis de comprendre la distance que j’avais toujours ressentie en famille et depuis petite fille, je pensais que j’avais été adoptée. Ouvrir enfin les yeux m’a fait un bien fou mais pourtant, j’ai toujours l’impression d’être coupée en deux, comme si jetais privée d’une partie de moi–même. J’aurais voulu savoir qui était ce donneur, quelle tête il avait, quels étaient ses antécédents médicaux… Quand je vois un homme de la soixantaine qui me ressemble dans la rue, je me demande si ce n’est pas lui et j’ai même osé demandé à mon beau–père s’il avait été donneur, histoire d’être certaine de ne pas épouser un demi–frère. Après les confidences de ma mère, nous n’en avons plus reparlé et mon père n’a jamais su que j’étais au courant. Je n’ai pas voulu lui dire car je l’aimais trop. J’ai eu peur de le blesser et de casser la belle relation que j’avais avec lui. «