Libération

 

Par CHARLOTTE ROTMAN

Ce n’était pas prévu. Lors du très officiel forum des Etats généraux de la bioéthique organisé ce mois–ci à Rennes, Arthur, né il y a vingt–six ans grâce à un don de sperme, s’est dressé. «Tout est fait pour gommer le donneur de mon existence. Pourtant, je suis là, j’en porte la trace.» Il a expliqué qu’il aimerait pouvoir rencontrer cet homme et lui dire merci. C’est un phénomène récent : l’irruption et l’attention portée à la parole de ceux nés à la suite d’un don de gamètes. On en compte 45 000 en France, dont beaucoup ne connaissent pas les secrets de leur conception. Quand les législateurs réviseront la loi de bioéthique, il n’est pas impossible qu’ils s’attaquent au principe absolu de l’anonymat. Jusqu’à présent, la loi stipule que «le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur».
«Effacement». Certains de ces jeunes adultes issus d’un don se retrouvent dans l’association PMA (procréation médicalement anonyme) (1). Ils expliquent qu’ils ne cherchent pas «un père». «La biologie ne peut pas remplacer les jus d’orange versés par mon père le matin, les rires, les films regardés ensemble, les barbecues, les vacances, les crises aussi», confiait Arthur à Libération. «Personne ne s’est demandé comment les enfants issus d’un don allaient le vivre», pense sa sœur, conçue par insémination artificielle avec donneur. Arthur imagine qu’il peut croiser son donneur à chaque coin de rue : «Cela pourrait être un prof, un voisin, un médecin.»
Même le Conseil d’Etat a reconnu que «l’application radicale du principe d’anonymat comporte à long terme des effets préjudiciables, essentiellement parce que l’enfant est privé d’une dimension de son histoire, que son identité est fondée sur l’effacement de l’intervention d’un tiers». La tendance internationale est d’ailleurs à la levée de l’anonymat. En Grande–Bretagne, Suède, Autriche, Norvège, Suisse, Finlande, Pays–Bas, Nouvelle–Zélande, les enfants nés par Insémination artificielle avec donneur (IAD) peuvent avoir des informations sur leurs origines.
Pourtant, beaucoup de médecins, et en particulier ceux qui travaillent dans les Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) demeurent attachés au principe de l’anonymat. C’est «une bonne chose» pour Dominique Regnault, psychologue en Cecos. Cela «permet au couple de construire un modèle nouveau. La confidentialité permet à l’homme de trouver une place symbolique pour son projet de paternité», a–t–elle expliqué à l’Assemblée. Pour Jean–Marie Kunstmann, vice–président de la fédération nationale des Cecos, «on donne une cellule, pas un projet d’enfant. L’anonymat permet de dépersonnaliser le produit biologique.» C’est ce que confirme l’enquête de la philosophe Michela Marzano (CNRS) sur les pères stériles (2). «Le père c’est moi, si il y avait une levée de l’anonymat, je me sentirais en danger», explique l’un d’eux. Pour certains, la fin de l’anonymat risquerait de favoriser le secret dans les familles. Une étude effectuée en 2006 auprès de 1 068 hommes et femmes ayant sollicité l’aide d’un Cecos montrait que moins d’un quart n’envisageait pas d’informer leur enfant des modalités de sa conception.
«Transaction». Un autre argument est celui de la crainte d’une chute du nombre de donneurs. Mais les exemples étrangers montrent des situations contrastées. Le Royaume–Uni a changé sa législation en 2005 et mis fin à l’anonymat. Or, en 2006, on trouvait autant de donneurs qu’en 2002, et même un peu plus que les dernières années avant la réforme.
Le droit à l’accès aux origines trouve de plus en plus de défenseurs. En affirmant que l’enfant conçu par IAD est «né de ses parents», comme s’ils en étaient les géniteurs, «la loi est devenue complice d’une tentative d’annuler la portée symbolique de l’acte procréatif»,regrette la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval dans Esprit. «L’anonymat fait du don procréatif une conspiration du silence, une transaction secrète, indirecte et non marchande mais qui ressemble à un « marché » occulte», pense la philosophe Sylviane Agacinski (3). Pour la sociologue Irène Théry, l’accès aux origines «n’est pas une sorte de grande règle de transparence biologique», mais «une possibilité ouverte à l’enfant et qu’il lui appartient d’utiliser ou non, sans avoir à s’en justifier».
(1) Pmanonyme.asso.fr
(2) Numéro d’Esprit de mai 2009, «La filiation saisie par la biomédecine».
(3) Corps en miettes, Flammarion, avril 2009, 12 euros.

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