L’Express – 21 octobre 2015

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Audrey Kermalvezen a été conçue grâce à un don de sperme. Cette avocate de 35 ans saisit ce mercredi le Conseil d’Etat pour demander la levée de l’anonymat et connaître l’identité de son père biologique. Une quête des origines dont elle a fait un combat.

Avec son frère, ils ont appris la nouvelle très tardivement, de la bouche de leurs parents. Elle avait déjà 29 ans. Audrey Kermalvezen -un nom d’emprunt- est née d’un  don de sperme, une « insémination artificielle avec donneur ». « Mon père et ma mère attendaient que l’on soit sur des rails, avec une stabilité professionnelle et sentimentale car ils se doutaient que l’annonce pourrait nous déstabiliser. »

Et ce fut le cas. L’information a fait l’effet d’une bombe. Mais colère et incompréhension se sont estompées, et cette avocate de 35 ans a utilisé les armes qu’elle maîtrise le mieux pour avancer: le droit. Elle a entamé en 2009 une démarche judiciaire pour obtenir des informations sur son père biologique. Ce que la loi lui refuse: en France, le don est gratuit et anonyme. Ce mercredi, elle renouvelle sa demande devant le Conseil d’Etat qu’elle a saisi.

« Un nom et un visage »

« Vous ne vous êtes jamais posé la question mais peut-être que vous aussi vous êtes issu d’un don de sperme et vous ne le saurez peut-être jamais, lâche-t-elle. Tout le système est pensé pour que les enfants soient les dindons de la farce et pour que le secret soit maintenu. » Entre 50 000 et 70 000 personnes sont nées grâce à un don de sperme depuis 1973. Mais parmi eux, une minorité seulement, connaît le « secret » de leur création.

Audrey Kermalvezen aimerait que l’APHP prenne contact avec son père biologique et lui pose la question: accepterait-il ou non de dévoiler son identité? Elle ne se voit pas sonner à sa porte un matin, consciente qu’il faudra marcher sur des oeufs. « Mais lui, peut-être que ça pourrait lui faire plaisir de savoir que ses dons ont servi », lance celle qui a raconté son histoire dans un livre , Mes origines: une affaire d’Etat (Editions Max Milo). Pour autant, la jeune femme est claire sur ses attentes. Ses parents la soutiennent et elle le martèle: elle n’est ni dans une quête affective ni à la recherche d’un autre père. Mais cette jeune maman aimerait avoir « un nom et un visage ». Avant de rectifier aussitôt: « En fait, le nom je m’en fiche, j’aimerais juste pouvoir l’humaniser. »

« Tiens, il te ressemble »

Ce qu’elle voudrait, c’est arrêter de se poser « 10 000 questions ». « Je ne sais même pas s’il est encore vivant, s’il est de nationalité française, si avec mon frère nous avons eu le même donneur ou combien de demi-frères et soeurs j’ai. Des dizaines, des centaines, des milliers? »

Les questions fusent. Car ce donneur, ce pourrait être n’importe qui. Cet homme qu’elle vient de croiser dans la rue ou ce médecin qui lui prend la tension. Souvent, avec son mari, ils observent des inconnus et, parfois, se disent « tiens, il te ressemble ». « Nous ne sommes pas dans le fantasme. Juste pragmatiques », se défend-elle. Des moments anodins du quotidien la renvoient régulièrement à cette quête des origines et cette inconnue dans sa filiation. Quand on lui demande ses antécédents familiaux lors d’une consultation médicale par exemple, lorsqu’on lui demande d’où elle vient ou pourquoi son fils est blond alors qu’il n’y en a pas dans la famille. « Ce n’est pas grave mais fatiguant », souffle-t-elle.

Risque de consanguinité

Audrey Kermalvezen est solidement épaulée par un homme dans la même situation qu’elle: son mari, lui aussi né d’un don de gamètes. Ces deux caractères plutôt opposés se sont rencontrés à l’association « P.M.A.  » que son mari, Arthur, préside actuellement. « Heureusement que nous sommes deux pour affronter tout ça. C’est une force. Il faut avoir les nerfs bien accrochés pour mener un tel combat », confie-t-elle, Arthur à ses côtés, leur bébé de neuf mois dans les bras.

Malgré le risque potentiel de consanguinité qu’elle pointe, lié à l’impossibilité de connaître leurs géniteurs, ils ont décidé de sauter le pas. Car les années passent et Audrey est consciente que la bataille judiciaire est encore loin d’être achevée. Sans doute faudra-t-il aller juste devant la Cour européenne des droits de l’homme et attendre des années encore pour espérer obtenir gain de cause. Or, le temps presse. Les banques de sperme (CECOS) sont tenues de conserver le nom des donneurs pendant un délai minimum de 40 ans. Et Audrey Kermalvezen a déjà 35 ans.