Le Monde 14 juin 2012

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par Gaelle DUPONT
Une jeune femme née d’un don de sperme en appelle à la justice pour connaître l’identité de son donneur
Le tribunal de Montreuil doit se prononcer jeudi 14 juin sur sa demande, une première en France

Les enfants nés d’un don de sperme anonyme ont échoué pour l’instant à convaincre les politiques de leur autoriser l’accès à leurs origines, ils portent désormais leur combat en justice. Pour la première fois en France, un tribunal doit se prononcer, jeudi 14 juin, sur la possibilité pour un enfant né d’un don de sperme de connaître l’identité du donneur. Il s’agit du tribunal administratif de Montreuil (Seine–Saint–Denis), qui a été saisi par Agathe – le prénom a été modifié – , une jeune femme âgée d’une trentaine d’années.
Elle ne réclame pas directement l’identité du donneur, mais demande qu’il soit interrogé pour savoir s’il est d’accord ou non pour se faire connaître.  » S’il refuse, je respecterai son choix « , explique–t–elle. A défaut, elle demande des informations non identifiantes sur lui (antécédents médicaux, raisons du don, nombre d’enfants conçus à partir de l’échantillon). Elle souhaite également savoir si son frère, issu lui aussi d’une insémination artificielle avec donneur (IAD), a été conçu avec les mêmes gamètes qu’elle.
 » Dès qu’on se regarde dans la glace, on se demande d’où on vient, décrit la jeune femme. Nous avons tous les mêmes mots pour décrire ce vide.  » Elle a appris la façon dont elle a été conçue il y a un peu plus de deux ans. Ses parents avaient attendu que sa vie soit sur des rails. Ce fut un  » choc « , suivi  » d’une perte de confiance  » dans le monde qui l’entourait. Depuis, elle se sent  » en suspens  » et mène l’enquête.  » Au milieu de toute cette usine procréative, je veux pouvoir mettre un visage, poursuit–elle. Tout ce que je veux, c’est savoir et continuer ma vie.  » Ses parents la soutiennent.  » Ils sont en souffrance parce qu’ils voient que je le suis « , dit–elle.
Elle est soutenue par l’association Procréation médicalement anonyme (PMA), qui regroupe environ 130 adhérents.  » Nous sommes placés dans une situation d’attente perverse, affirme l’un de ses porte–parole, Arthur Kermalvezen. On conseille depuis des années aux parents de dire aux enfants comment ils ont été conçus. Mais, après, la question de savoir qui est cette personne est inévitable et devient lancinante.  » Il ne s’agit pas de créer un lien, mais de  » savoir pour passer à autre chose « , dit–il.
Agathe fait valoir plusieurs arguments juridiques. D’abord, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège, selon la Cour européenne de justice,  » l’intérêt vital  » qu’a toute personne  » à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de ses géniteurs « . D’autre part, le code civil prévoit la levée de l’anonymat en cas de nécessité thérapeutique. La jeune femme affirme que, dans son cas, il existe une nécessité thérapeutique  » psychologique « , et fournit des certificats médicaux à l’appui. Elle souligne, enfin, que le législateur n’interdit que la divulgation d’informations qui permettent d’identifier le donneur, et non la délivrance de données comme l’âge, les antécédents médicaux, etc.
Lors de l’audience, qui a eu lieu le 31 mai, le rapporteur public a demandé au tribunal de rejeter ces demandes, opposant les mêmes arguments qui avaient conduit les députés à voter contre la levée partielle de l’anonymat lors du débat sur la révision des lois de bioéthique, en janvier 2011.
Droit à l’enfant pour les couples infertiles et protection de l’intérêt de ces couples, protection de l’intérêt du donneur, risque de chute des dons si l’anonymat est levé… Lors des débats à l’Assemblée nationale, de nombreux députés avaient affirmé  » le primat de filiation affective et sociale sur la filiation génétique « .
C’est aussi la position de François Hollande, qui s’est prononcé pendant la campagne électorale pour le maintien de l’anonymat. Mais, pour l’association PMA, le consentement des donneurs n’était pas éclairé.  » Nous en connaissons qui disent qu’ils n’ont pas donné pour que des enfants souffrent « , affirme M. Kermalvezen.  » S’il existe un droit à l’enfant, l’enfant a aussi des droits, affirme Agathe. Le système a été conçu par des gens qui ont oublié que les enfants allaient grandir. «