Le JDD- 7 février 2011

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Lois bioéthique: Les raisons d’un recul
par Anne–Laure Barret – Le Journal du Dimanche

La levée de l’anonymat du don de gamètes devait être au coeur du projet de révision de la législation de 2004, examiné à partir de mardi. Il n’en sera rien. Le statu quo devrait l’emporter.

Jean–François sourit doucement quand on lui demande s’il se cherche un père. « Le mien est exceptionnel. Il n’en existe pas de meilleur. Cela tient autant à sa personnalité qu’aux épreuves qu’il a traversées. Sa stérilité, le secret de ma conception ignoré de tout notre entourage… » Né en 1976 à la suite d’une insémination artificielle pratiquée avec le sperme d’un donneur, ce trentenaire parisien se bat sans colère pour la levée de l’anonymat du don de gamètes. « Je ne suis pas en souffrance, mais je veux que la loi change. Personne ne peut vivre avec une part manquante de son histoire. »

La levée (partielle) de l’anonymat devait être au coeur du projet de révision des lois de bioéthique qui sera examiné à l’Assemblée nationale à partir de mardi. L’ex–ministre de la Santé Roselyne Bachelot avait prévu dans son projet de loi « une possibilité d’accès aux origines », « une mesure de progrès » centrée sur « l’intérêt » de l’enfant, « préconisée par le Conseil d’Etat » et « conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ». Mais, au nom du gouvernement, son successeur Xavier Bertrand vient d’opérer un virage à 180 degrés. « Je suis en faveur du maintien de l’anonymat du don qui est un principe fondamental de notre droit, et je l’assume », a–t–il déclaré cette semaine dans les colonnes de l’hebdomadaire catholique La Vie.

Le gouvernement donnerait–il des gages à l’électorat catholique?
Assistance médicale à la procréation (AMP), recherche sur l’embryon, dépistage génétique, dons d’organes… Tous les sujets de bioéthique divisent l’opinion comme la classe politique. Chacun se forge un avis en son âme et conscience, en fonction de son histoire personnelle, de ses convictions philosophiques ou religieuses. Les revirements – vers plus de conservatisme ou de libéralisme – ne sont pas rares. « Ces questions sont tellement complexes que les parlementaires ne peuvent pas nous refuser un vrai débat », martèle Audrey, militante de l’association Procréation médicalement anonyme (PMA), qui se bat pour la levée de l’anonymat du don de gamètes.

Elle–même née d’une insémination artificielle, cette jeune avocate âgée de 30 ans vient d’écrire aux 577 députés en leur demandant qu’une vraie discussion ait lieu au sein de l’Hémicycle. « On ne peut pas laisser une minorité de députés décider de notre destin en catimini, en commission. L’Immaculée Conception, ils y croient, pas moi », se désole–t–elle. Le très pugnace et médiatique porte–parole de cette association Arthur Kermalvezen vient, lui, d’entamer une grève de la faim. Pourtant partagé sur la levée de l’anonymat, le député Vert Noël Mamère pèsera de tout son poids pour que la discussion ne soit pas escamotée: « Il est inacceptable que le débat soit confisqué. Je vais déposer un amendement pour le remettre sur la table. »

Comment est–on passé, en quelques mois, de l’ouverture prônée par l’ancienne ministre de la Santé au statu quo actuel? Pour Hervé Mariton, député de la Drôme qui milite avec d’autres parlementaires – souvent catholiques – pour un maintien et même un durcissement de la législation bioéthique, « le Parlement a joué tout son rôle. Nous avons bataillé en commission pour revenir sur cette mesure dangereuse et le gouvernement nous a entendus. Quoi de plus démocratique? » « Nous avons à tenir compte de la position prise par l’Assemblée nationale », argumente Xavier Bertrand dans son interview à La Vie.

Déjà en désaccord avec l’Eglise catholique sur le dossier des Roms, le gouvernement serait–il soucieux de donner des gages à l’électorat catholique (l’Eglise est opposée à l’AMP) dans la perspective de 2012? « C’est une des raisons de cette volte–face », assure un député de la majorité. De son côté, Noël Mamère tempête contre le « lobby catho », très puissant à l’Assemblée, semblant oublier que les députés de gauche, qui avaient semblé favorables à la levée de l’anonymat, ont changé d’avis… « Cela a été très difficile. J’ai pris ma décision en conscience. J’entends les arguments des jeunes qui veulent accéder à leurs origines mais on ne peut pas risquer de déstabiliser tout un système et de manquer de donneurs », explique Alain Claeys, député socialiste de la Vienne, spécialiste de la bioéthique.

Les secrets d’Etat font autant de dégâts que les secrets de famille
Comme ceux de la majorité, les élus socialistes ont sans doute été ébranlés par les mises en garde des médecins des Centres d’études et de conservation des oeufs et du sperme (Cecos), en majorité hostiles à la levée de l’anonymat. « Les donneurs nous répètent qu’en donnant du sperme, ils font un cadeau dépersonnalisé pour aider des couples confrontés à la stérilité. Ils n’ont aucune envie de voir débarquer un enfant dans leur vie vingt ans après », assène Jean–Marie Kunstmann, directeur du Cecos de l’hôpital Cochin à Paris.

Le médecin souligne que seule une minorité des enfants issus de dons sont à la recherche de leurs origines: « Dans les années 1970 et 1980, la stérilité était taboue et nous conseillions aux parents de maintenir le secret de la conception. Beaucoup de jeunes sont en souffrance à cause de ces non–dits. Maintenant que la transparence est la règle au sein des familles, les choses sont plus faciles et la plupart des enfants n’ont pas envie de connaître leur donneur ou leur donneuse. »

Tous ces arguments ont le don d’agacer la petite centaine d’étudiants et de jeunes actifs de l’association PMA. L’effondrement des dons? « Il n’est pas automatique, comme le prouvent les exemples anglais et suédois », assure Raphaël Molenat, vice–président de l’association. Les effets pervers d’une politique du secret dans les familles? « Nous nous battons pour que notre droit fondamental à connaître nos origines soit reconnu et on nous renvoie sans arrêt à de prétendues difficultés psychologiques », regrette Raphaël Molenat. Pour ces militants, les secrets d’Etat font autant de dégâts que les secrets de famille.

Si les députés ne veulent pas en convenir, ils déplaceront leur combat sur le terrain judiciaire, confortés par le précédent britannique. Outre–Manche, une action devant la Cour européenne des droits de l’homme a entraîné la levée de l’anonymat. Audrey, la jeune avocate, résume: « J’ai envie de connaître mon donneur pour mieux l’oublier ensuite. Pour l’instant, il prend une telle place dans ma tête que je n’arrive pas à m’autoriser à faire un enfant. »