La Croix : Pour une autre conception de l’anonymat du don de gamètes

Stéphane Viville et Laurence Brunet ont publié dans le journal La Croix une très bonne tribune en faveur d’un droit d’accès aux origines pour les personnes conçues par don. Nous vous en recommandons la lecture.


Lien de l’article : https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/autre-conception-lanonymat-don-gametes-2018-04-25-1200934456
Date de publication : 25 avril 2018

Stéphane Viville et Laurence Brunet répondent à la tribune publiée dans la Croix du 9 avril 2018 « Don de gamètes : de la fonction de l’anonymat » et signée par un collectif

Stpéhane Viville est professeur à la faculté de médecine de Strasbourg. Il est praticien hospitalier au CHU de Strasbourg, responsable de l’Unité fonctionnelle « génétique de l’infertilité », fondateur du Centre de diagnostic pré-implantatoire, ancien chef de service du laboratoire de fécondation in vitro du CHU de Strasbourg. Laurence Brunet est juriste spécialisée en droit de la famille, chercheuse associée au centre de recherche Droit, sciences et techniques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

La tribune « Don de gamètes : de la fonction de l’anonymat », est basée sur un malentendu. En effet, l’expression « levée de l’anonymat » peut prêter à confusion et être interprétée de deux manières, soit l’identité du donneur est connue par le couple au moment du don, soit il est anonyme jusqu’à la majorité de l’enfant qui peut alors demander sa levée. Nous défendons la deuxième interprétation et, afin d’éviter toute confusion, nous parlons « d’accès aux origines ».

Le Pr. Louis Bujan et ses coauteurs construisent leur réflexion à partir de la première option. Cette prise de position est pour le moins étonnante. Rappelons que dix pays européens permettent l’accès aux origines sans qu’aucun n’ait abandonné l’anonymat du don. Dans ces conditions, « philosopher » sur la fonction de l’anonymat nous paraît superfétatoire car basé sur un concept initial faux. À partir de ce constat, si certains arguments résistent, d’autres s’effondrent.

Un accès à l’identité du donneur fondamental pour la construction de son identité

Certes la stérilité est un traumatisme, mais en quoi le déni que représente l’anonymat est-il susceptible d’aider à en faire le deuil ? Certes cet anonymat est important pour formuler le projet parental et structurer la famille autour des parents et du/des enfants, il permet à la famille de prendre le temps de construire son « roman familial ». Assurément il est hors de question, comme suggéré par L. Bujan, d’introduire un tiers dans la sphère familiale. Certes, l’anonymat, qui fait écran entre le donneur et le couple stérile, l’aide à se libérer de l’image du donneur. Mais cela implique-t-il un anonymat à perpétuité ? Est-ce dans l’intérêt de la personne conçue par ce don ? Nous pensons au contraire que l’accès à l’identité du donneur, s’il est souhaité, est fondamental pour la construction de son identité.

Nous réfutons l’idée de la recherche d’une « filiation biologique ». Pour la vaste majorité de la minorité qui cherche l’identité de son donneur, il n’est nullement question de quête d’une filiation biologique, tous ayant déjà un père, mais plutôt d’un questionnement sur ses origines et a fortiori sur son histoire. La notion de géniteur est donc ici plus pertinente.

Arguer une nouvelle fois que la majorité des donneurs sont contre la levée de l’anonymat nous semble pour le moins biaisé. En effet, demande-t-on à un consommateur de cigarettes s’il est pour l’interdiction de fumer ? De surcroît, si on propose à ces donneurs de révéler leur identité dès le moment du don plutôt que de l’envisager comme une option future, leur refus est compréhensible.

L’Espagne est citée en exemple. L’argument étonne. En effet, si ce pays a une importante activité de don de gamètes, il est néanmoins paradoxal de le mentionner pour défendre l’anonymat, alors qu’il est constamment critiqué avec virulence par les CECOS, pour son manque d’éthique dans cette pratique.

Le rôle moteur des minorités militantes

Il faut aussi s’interroger sur cette minorité dont le militantisme est critiqué. Est-elle minorité parce que seul un petit nombre s’intéresse à l’identité du donneur ? Parce que ces personnes méconnaissent leur mode de conception (moins de 10 % en sont informés) ? Parce qu’un bon nombre d’entre elles craignent de blesser leurs parents, notamment leur père social qui pourrait se sentir « délégitimé » voire « désavoué » ?

En quoi la pression d’un petit nombre, qui avance des arguments justes et pertinents, est-elle dérangeante ? C’est à maintes reprises la façon dont l’histoire a progressé. Très souvent, c’est parce qu’une minorité se faisait entendre, ou essayait de le faire, qu’une réflexion s’est mise en place et a permis d’aboutir à un progrès. Nous ne citerons qu’un seul exemple de minorité qui a fait avancer une pratique médicale : les fondateurs des CECOS !

Nous ne comprenons pas pourquoi les CECOS, qui ont contribué à la mise en place d’un nouveau mode de reproduction se sont arrêtés à mi-chemin dans leur démarche. De quoi ont-ils peur ?

Pour finir, et contrairement à ce qui est sous-entendu, la possibilité d’identifier les donneurs par la pratique des tests génétiques dits « récréatifs » n’est pas anecdotique. En effet, un seul adulte a retrouvé son donneur en France pour l’instant. Mais ce serait une erreur de croire qu’il va rester un cas isolé. Ce mouvement va aller en s’amplifiant et nous risquons d’être rapidement submergés par le nombre de personnes ayant retrouvé leur donneur. Il semble que les CECOS refusent d’entendre cette réalité. Jamais dans les nombreuses interventions qu’ils font, quelle qu’en soit la forme, ils ne font état de ce fait ou alors pour le sous-estimer.

Stéphane Viville et Laurence Brunet