Journal International de Médecine – 21 octobre 2015

jim

Anonymat des donneurs de sperme : le rapporteur du Conseil d’Etat refuse de « dénoncer » la loi française

Paris, le jeudi 22 octobre 2015 – Les débats autour de l’opportunité de lever totalement ou partiellement l’anonymat des donneurs de sperme, avec ou sans l’accord de ces derniers, ont été récurrents ces dernières années en France. A la faveur d’un mouvement s’amplifiant chez des enfants adoptés, nés sous X ou nés grâce à un don de sperme ou d’ovocyte, cette question est en effet revenue périodiquement au centre des débats. Cependant, le législateur français s’est montré intransigeant en la matière : en 2010, au moment de la révision des lois de bioéthique, l’anonymat strict des donneurs de sperme a ainsi été confirmé. Tant les spécialistes que les législateurs ont fait valoir que les analyses génétiques et médicales réalisées préalablement au don permettaient dans la grande majorité des cas d’éviter la transmission d’une pathologie, limitant la nécessité médicale d’une levée du secret. Par ailleurs, a été mise en place une procédure, qui permet la diffusion de certaines informations en cas de « nécessité thérapeutique »: si un donneur se découvre après son don atteint d’une maladie potentiellement transmissible, il peut en avertir le Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) qui lui-même délivrera l’information aux enfants nés grâce à ses dons. De la même manière, si des enfants nés grâce à un don se révèlent atteints d’une maladie génétique, l’information est signalée aux donneurs, afin qu’ils puissent réaliser les démarches nécessaires pour leurs propres enfants (ou pour eux-mêmes).

Une avocate née grâce à un don de sperme au cœur du débat

Ces dispositifs sont cependant aujourd’hui jugés insuffisants aux yeux de beaucoup de ceux qui réclament un accès élargi aux informations sur le donneur qui a permis leur naissance. Ces dernières années, l’avocat Audrey Kermalvezen a incarné ce combat. Agée de 35 ans, cette avocate a découvert à l’âge de 29 ans être née grâce à un don de sperme. Aujourd’hui, mariée à un homme dont la conception a été semblable, elle souhaite pouvoir accéder à certaines données non identifiantes concernant son donneur, notamment pour pouvoir écarter l’existence d’une consanguinité avec son époux. Après avoir été débouté en première et deuxième instances, Audrey Kermalvezen voyait hier son affaire portée devant le Conseil d’Etat.

Ne nous condamnons pas avant que d’autres le fassent !

Ce dernier a déjà eu à se prononcer sur la question de la levée de l’anonymat et s’y était opposé en 2010, estimant que le législateur avait mis en place un « juste équilibre » pour protéger les intérêts des donneurs, des receveurs et de l’enfant. Hier, il était invité à se prononcer sur la conformité de la législation française avec la convention européenne des droits de l’homme dont l’interprétation ces dernières années par la cour européenne des droits de l’homme a inscrit le « droit aux origines » comme un des aspects du droit au respect de la vie privée et familiale.  Dans une argumentation assez étonnante, le rapporteur du Conseil d’Etat n’a pas nié que la législation française pourrait potentiellement être considérée comme contraire à la CEDH. Cependant, en l’absence d’arrêt spécifique interrogeant strictement l’anonymat des donneurs de sperme, le rapporteur a invité le Conseil d’Etat à rejeter la requête de la jeune femme. Le rapporteur a ainsi estimé que c’était à la CEDH (qu’Audrey Kermalvezen a déjà l’intention de saisir) de se prononcer sur ce point. Cette stratégie du Conseil d’Etat a été critiquée par l’avocat d’Audrey Kermalvezen : « Depuis quand une haute juridiction nationale doit-elle attendre un arrêt de la CEDH pour statuer sur la conventionalité d’une décision interne» s’est ainsi interrogé maître Julien Occipinti, qui s’attendait cependant à cette objection du rapporteur.

Des gardes fous trop récents pour être parfaitement rassurants

Jusqu’à l’examen de ce cas par la CEDH, les responsables de la collecte des dons de sperme doivent être dans leur grande majorité soulagés par ce « sursis » offert par le Conseil d’Etat. Ces responsables sont en effet très opposés à une quelconque levée de l’anonymat. Concernant le risque très hypothétique d’une consanguinité, soulevé par Audrey Kermalvezen, le professeur Jean-François Guérin, responsable du CECOS de Lyon l’estime très faible. Il rappelle ainsi que différents gardes fous ont été mis en place pour éviter cette situation : limitation à dix du nombre de naissances réalisées grâce au même donneur et impossibilité pour une même personne de s’inscrire dans plusieurs CECOS (impossibilité mieux respectée depuis l’introduction d’un fichier commun aux centres en 2010). Cependant, l’avocate Audrey Kermalvezen, auteur d’un essai sur sa situation personnelle et ce sujet l’année dernière fait valoir que ces règles n’ont pas toujours été respectées et qu’il fut un temps où le recueil des semences ne connaissait pas les strictes précautions d’aujourd’hui, augmentant la possibilité d’une consanguinité.

Débandade des donneurs

Cependant, les responsables des CECOS mettent en avant que bien plus important qu’un risque très faible de consanguinité, l’impact d’une levée de l’anonymat sur le nombre de donneurs doit être rappelé. « Quand on interroge les donneurs, 70 % nous disent que l’anonymat favorise leur démarche de candidature au don », précisait hier sur Europe 1, le professeur Louis Bujan ancien président des CECOS. Les exemples étrangers en la matière laissent circonspects : la chute du nombre de donneurs est ainsi souvent spectaculaire les premières années, mais la stabilisation s’impose après quelques temps. Cependant, dans un contexte où la pénurie fait est importante, les spécialistes refusent de faire face à cette difficulté supplémentaire.

Evolution de la société

Au-delà des arguments et peurs des uns et des autres, ce débat s’inscrit dans une tendance sociétale où la question de la « transparence » est constante. Cependant, Louis Bujan fait remarquer que par amour pour la transparence, la levée de l’anonymat risquerait au contraire de favoriser le « secret » : les couples ayant recours à une insémination avec donneur pourraient être amenés de plus en plus souvent à taire à leur enfant cette particularité. Pour pallier ce phénomène, certains vont jusqu’à proposer que le recours à un donneur soit mentionné dans l’acte de naissance intégral ! Une telle proposition ferait du droit à connaître ses origines un droit (inexplicablement) sacré et supérieur à tous les autres. Mais cette logique s’inscrit, il est vrai, dans une évolution de la société où la filiation biologique est de plus en plus souvent découplée de la filiation juridique (et affective).