En France, un donneur de sperme peut–il avoir 533 enfants ?

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Laetitia Dive, publié le 20/07/2012

En avril, les Anglais découvraient, effarés, l’existence d’un donneur de sperme ultra prolifique: un médecin aurait donné naissance, anonymement, à près de 600 frères et soeurs sur le sol britannique… Le risque de voir se former, dans l’ignorance, des couples consanguins inquiète. Cela pourrait–il arriver en France?
Depuis sa sortie en salle le 27 juin, le film fait un carton: Starbuck, du Canadien Ken Scott, raconte l’incroyable destin d’un loser quadragénaire, lequel se réveille un beau jour père de… 533 enfants – tous issus de ses dons à une banque du sperme vingt ans plus tôt. L’histoire parait stupéfiante. Au Royaume–Uni pourtant, la réalité a déjà dépassé la fiction. En avril dernier, les britanniques découvraient, effarés, le portrait d’un autre serial father, bien réel celui–là: Bertold Wiesner, fondateur d’une clinique de fertilité dans les années 1940. Le médecin, qui congelait son propre sperme pour « aider » ses clientes, donna naissance à près de… 600 bambins! Cela pourrait–il arriver en France?

« Ce profil de serial donneur peut très bien exister chez nous! », affirme sans détour Audrey Gauvin. La présidente de l’association Procréation Médicalement Anonyme est aussi avocate spécialisée en bioéthique, et s’explique: « C’est seulement depuis 1994, avec le vote de la loi sur la bioéthique, que le nombre d’enfants par donneur a été limité ». En clair, un individu né avant cette date par procréation médicalement assistée peut donc, en théorie, avoir plusieurs dizaines de demi–frères et soeurs biologiques qu’il ignore.

Mais pas seulement. Jusqu’en 1981 au moins, certains gynécologues pratiquaient librement ce que l’on appelle poétiquement « l’insémination par sperme frais ». Une future mère pouvait recevoir le jour même le sperme déposé quelques heures plus tôt par un donneur. « Vous imaginez l’organisation pour que tout ça s’enchaine sans que les deux se croisent! » s’amuse Jean–Marie Kunstmann, gynécologue au Centre d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) de l’hôpital Cochin à Paris.

Certains médecins de ville offraient ainsi aux femmes déboutées de la filière classique (divorcées, couples homosexuels, quadragénaires) une chance d’être inséminée. Quitte, pour cela, à encourager les vocations de donneurs en les rétribuant généreusement. Sur ce point, le secteur public n’est pas en reste d’ailleurs: « A l’hôpital parisien Necker, les donneurs de sperme étaient payés jusqu’en 1976 », rappelle l’avocate. A l’époque, le nombre de dons y était limité à six, mais rien n’empêche un homme d’avoir dispensé sa semence dans d’autres établissements en France. Aujourd’hui, le don de sperme est non–rémunéré, anonyme et limité à dix enfants par donneur. Le « Starbuck » des temps modernes qui voudrait s’assurer une innombrable descendance devra donc ruser…

Depuis 1994, chaque donneur doit s’adresser obligatoirement à l’un des vingt–quatre CECOS qui maillent l’hexagone. Il doit être en couple, avoir des enfants et sans gros problème de santé. Une centralisation des informations a par ailleurs été mise en place à Toulouse: « Une fois par an nous contrôlons les dates de naissance des donneurs et si nous en trouvons deux identiques, nous recherchons le lieu de naissance, puis le nom du donneur pour vérifier que ce ne sont pas les mêmes qui fréquentent plusieurs établissements à la fois », affirme le Dr Kunstmann. Le médecin estime que ce contrôle annuel suffit à éviter les dérives: « Le donneur met trois ou quatre mois pour terminer la procédure de don, il est impossible qu’il ait le temps de faire le tour des CECOS en moins d’un an ». Mais en est–on si sûr?

« Ce système n’existe que depuis fin 2010 et aucune autorité indépendante ne vérifie qu’il est bien respecté, balaie l’avocate Gauvin qui poursuit: lorsque j’ai saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés [CNIL] en 2010 pour vérifier la conformité des bases de données, ses responsables m’ont affirmé n’avoir reçu aucune déclaration de fichier des CECOS. Ce n’est que début 2012, soit deux ans plus tard, qu’ils ont commencé à lancer des contrôles sur place pour voir comment sont conservées les données. » L’avocate évoque également la perte de certains dossiers, alimentant encore les craintes de voir un serial donneur profiter des failles du système…

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