Accès par le donneur de gamètes à son propre dossier médical

Est-ce qu’un donneur de gamètes a le droit d’obtenir une copie intégrale de son dossier médical ?  C’est la question à laquelle le tribunal administratif de Paris vient de répondre par la négative.

Le dossier médical des donneurs de gamètes

L’AMP (Assistance Médicale à la Procréation) avec donneur est une pratique encadrée depuis 1994 par loi  et qui doit s’accomplir dans l’un des 29 CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) de France. A chaque donneur est associé un dossier médical qui doit être conservé pendant une durée minimale de 40 ans.

Que dit la loi ?

Sur la question de savoir si le donneur peut avoir accès à son propre dossier médical, deux articles entrent en concurrence.

D’une part, l’article L.1111-7 du code de la santé publique reconnaît le droit à toute personne d’accéder aux informations concernant sa santé, détenues par des professionnels ou des établissements de santé.

D’autre part, l’article 511-10 du code pénal interdit de divulguer des informations susceptibles de mettre à mal l’anonymat des donneurs et des couples receveurs.

La question est donc de savoir si le fait de communiquer à un donneur la copie intégrale de son dossier médical contrevient à la règle de l’anonymat. Pour comprendre cette interrogation, il faut savoir que les CECOS sont susceptibles de réaliser un appariement entre le donneur et le couple receveur. Par exemple, si le couple receveur est de type caucasien, le CECOS va essayer de leur attribuer un donneur de type caucasien. Un appariement des groupes sanguins est également réalisé.

L’AP-HP a estimé en novembre 2015 que si le donneur obtenait une copie intégrale de son dossier médical, le fait qu’il ait accès à ses propres caractéristiques morphologiques risquerait de lui donner des indications sur le couples receveur (par exemple, deviner sa couleur de peau).

Quelques avis

L’agence de la biomédecine a rendu en novembre 2015 l’avis suivant : « les dispositions de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades permettent à la personne d’avoir accès aux informations relatives à sa santé détenues par un établissement de santé ou des professionnels de santé « à quelque titre que ce soit » (art. L. 1111-7 du code de la santé publique). Elle peut accéder directement à ces informations ou par l’intermédiaire d’un médecin.
Seules les informations la concernant pourront lui être communiquées. Il faut donc s’assurer que le dossier de cette personne ne contient aucun élément sur la mise à disposition des gamètes dans le cadre du don (en particulier les éléments relatifs au nombre d’enfants issus de don, les dates des mises à disposition et le nombre de paillettes mises à disposition) qui ne concerne pas la personne directement. »

Didier SICARD (Président d’honneur du CCNE et médiateur de l’hôpital Cochin) a estimé en décembre 2015 que le donneur avait le droit de consulter à l’hôpital Cochin la fiche cartonnée contenant ses données personnelles (dont notamment ses caractéristiques morphologiques) mais qu’il ne pouvait pas en obtenir une copie (voir l’avis rendu).

La Commission d’éthique de la Fédération des CECOS a considéré en décembre 2015 que le CECOS de Cochin avait agi en conformité avec la loi (voir l’avis rendu).

La Commission d’Accès aux Documents Administratifs a rendu en mars 2016 un avis favorable pour le donneur, en estimant que celui-ci avait le droit d’obtenir une copie partielle de son dossier médical. Par dossier partiel, il faut comprendre que le donneur a le droit d’avoir la totalité de son dossier à l’exception des informations qui compromettraient la règle de l’anonymat. La CADA estime notamment qu’un donneur n’a pas le droit d’obtenir ses propres caractéristiques morphologiques (couleur de peau, des yeux et des cheveux, ainsi que sa taille).
Cet avis de la CADA est consultable sur le site de l’AP-HP (version PDF) :

La Commission Nationale Informatique & Libertés n’a pas souhaité en août 2016 se prononcer sur la légalité du refus du CECOS de Cochin de communiquer au donneur de gamètes ses propres données personnelles et a précisé que la loi ne prévoyait pas d’accès indirect à ce genre de données personnelles.  (voir l’avis rendu). 

Le jugement rendu par le tribunal administratif

Le 4 septembre 2017, un donneur membre de l’association PMAnonyme a fait un recours auprès du tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la fiche contenant ses données personnelles, et en particulier ses caractéristiques morphologiques. Le CECOS de Cochin avait en effet refuser de lui communiquer ces éléments au motif que cela serait contraire au principe d’anonymat.

L’audience publique s’est déroulée le 28 mars 2019. Par jugement du 11 avril 2019, le tribunal a rejeté la requête.

Cette décision est à considérer à la lumière de la législation du droit d’accès aux données personnelles inscrit dans la loi depuis 1978 et renforcé au travers de l’article 15 du RGPD (règlement général sur la protection des données) qui est entré en vigueur le 24 mai 2016.

Le dogme de l’anonymat absolu conduit ainsi l’AP-HP et la justice à des décisions absurdes (refuser à quelqu’un l’accès à ses propres caractéristiques morphologiques) et contraires à la tendance profonde d’un droit renforcé d’accès aux données personnelles.

Il faut également savoir que les couples receveurs doivent également remplir une fiche avec les mêmes données personnelles que le donneur. Les caractéristiques morphologiques des couples receveurs et des donneurs sont traitées par les CECOS afin de pouvoir réaliser des appariements. Les couples receveurs qui ont exercé leur droit à obtenir une copie de leurs données personnelles et médicales présentes dans leur dossier CECOS ont pu obtenir leurs caractéristiques morphologiques. Les médecins des CECOS ont toujours admis qu’ils pouvaient communiquer aux couples receveurs les caractéristiques morphologiques (la couleur de peau) du donneur On se retrouve donc dans une situation un peu ubuesque où la justice estime contraire au principe d’anonymat de communiquer au donneur ses propres caractéristiques morphologiques qu’il a renseigné dans son dossier, mais dans le même temps, les CECOS n’hésitent pas à communiquer aux couples receveurs des données personnelles du donneur.