La fausse bonne idée du « double-guichet »

Au cours des débats et discussions sur la révision à venir de la loi de bioéthique, l’idée d’un « double-guichet » pour les futurs dons est souvent apparue comme une option de compromis: pour ou contre l’accès aux origines, tous peuvent donner. Une option que rejette fermement l’association PMAnonyme pour plusieurs raisons que cet article vise à développer.

Le projet de loi relatif à la bioéthique adopté en Conseil des Ministres, le 24 juillet 2019, écarte très clairement cette option, au grand soulagement de l’association PMAnonyme qui espère que les débats et discussions parlementaires suivront la direction du Premier ministre et de la Ministre des solidarités et de la santé sur ce point.

Dans les débats sur l’accès aux origines, il a parfois été proposé que les donneurs et donneuses puissent choisir de révéler – ou non – leur identité aux personnes issues de leur don. Cette notion de choix du donneur ou de la donneuse est justifiée dans le cas de personnes ayant déjà donné et à qui on avait promis l’anonymat.

Pour l’avenir en revanche, nous ne voulons pas d’un système où les futurs donneurs pourraient choisir d’accepter, ou de refuser, que leur anonymat soit levé à la majorité de l’enfant.

Mauvaise idée pour les enfants

Le « double-guichet » représenterait une rupture claire d’égalité: pourquoi certaines personnes conçues par don auraient le droit d’accéder à leurs origines et d’autres non? Serait-il juste d’imposer, au nom de la liberté du donneur, une loterie bête et méchante à la personne conçue par don ? Les donneurs ont le choix de donner ou de ne pas donner; les personnes conçues par don, elles, ne choisissent pas de naître.

Le droit d’accès aux origines s’inscrit ainsi dans une logique responsable et à long-terme du don. Il ne s’agit plus de donner sans trop réfléchir mais bien de s’interroger sur cette démarche, y compris du point de vue de la personne conçue.

Extrait de l’article 3 du projet de loi adopté en Conseil des Ministres

Comme le dit la psychanalyste et sociologue spécialiste de bioéthique, Geneviève Delaisi de Parceval, “il s’agit de laisser le choix de donner ou de ne pas donner, mais pas de donner sous conditions”. En d’autres mots, il faut que le donneur ou la donneuse puisse choisir de donner en sachant que son identité pourra être révélée, ou bien choisir de ne pas donner.

Une proposition encore plus injuste consisterait à offrir la possibilité au donneur non pas de choisir au moment du don, mais des années plus tard lorsque la personne conçue par don ferait une demande d’accès aux origines. Il suffit pour prendre conscience de la cruauté d’un tel système de se mettre quelques instants à la place d’une personne conçue par don qui attendrait pendant toute son adolescence d’être majeure pour savoir si elle pourra accéder à l’identité du donneur et à qui l’on répondrait finalement que le donneur ne le souhaite pas. Ce serait la double peine pour les personnes conçue par don : incertitude et inégalité.

Mauvaise idée pour les familles

Si l’on confiait aux parents la lourde responsabilité de choisir entre un donneur permettant l’accès aux origines ou un donneur strictement anonyme, cela pourrait conduire à des conflits dans les familles. Inévitablement, certaines personnes conçues par don à qui l’accès aux origines sera impossible, en feront le reproche à leurs parents.

Mais plus difficile encore pour les parents serait un système où le choix reviendrait au donneur ou à la donneuse–non pas au moment du don, mais 18 ans plus tard, lorsque la personne conçue par don ferait une demande d’accès aux origines. Comment expliquer à son enfant qu’il pourra peut-être accéder à l’identité du donneur, ou peut-être pas, et que pour avoir le savoir il faudra patienter jusqu’à la majorité ?

Mauvaise idée pour les donneurs

La généralisation des tests ADN à visée généalogique, bien qu’interdits en France, signe de fait la fin à l’anonymat. En l’espace d’à peine un an et demi, 21 cas de donneurs français identifiés via des tests ADN ont été rapportés à l’association PMAnonyme. Parmi ces 21 cas, un seul donneur avait lui-même effectué le test.

Faire croire aux donneurs et donneuses qu’ils pourront rester anonymes, c’est ainsi leur faire une promesse intenable et les faire vivre sous une épée de Damoclès de l’ADN. Plutôt qu’une telle anarchie, nous militons pour un accès aux origines garanti et apaisé. 

Quant à l’argument selon lequel l’accès aux origines conduirait à une chute du nombre de donneurs, il ne tient pas sur le long terme. Dans les pays qui ont rendu possible l’accès aux origines, de la Suède à l’Australie en passant par le Portugal, le nombre de donneurs a augmenté après une baisse temporaire d’ajustement. Même si la demande de sperme augmente avec la PMA pour toutes, et même si l’accès aux origines dissuade certains donneurs potentiels, ce même accès aux origines en convaincra beaucoup d’autres, plus responsables et prêts à assumer leur démarche jusqu’au bout.

En outre, donner le choix aux donneurs et donneuses 18 ans après, c’est les prendre pour des personnes irresponsables et incapables de prendre une décision définitive au moment de leur don.

Mauvaise idée pour l’Etat

La révision de la loi bioéthique est supposée suivre l’évolution de la société mais le double-guichet s’inscrirait à contre-courant de ce que les Français pensent!  Selon un sondage IFOP publié le 4 juin 2019, trois Français sur quatre se disent en effet personnellement favorables à ce que les personnes conçues par don puissent dorénavant accéder à l’identité du donneur.

L’ouverture d’un droit d’accès aux origines s’appuie également sur la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Il s’agit d’un droit fondamental pour tous et qui ne saurait en aucun cas être conditionné au bon vouloir des donneurs.

Nous espérons que la  que la future loi sera conforme au droit européen. Dans le cas contraire, les personnes conçues par don ne manqueront pas d’user de tous les recours juridiques possibles aux niveaux national et européen.

La France ne doit pas devenir le seul pays au monde à laisser au donneur un choix à retardement qui laisserait les personnes conçues par don dans l’incertitude jusqu’à leur majorité sur le choix du donneur de révéler, ou non, son identité. Une telle exception apparaîtrait fort cruelle.

De façon générale, il importe de rappeler que les personnes conçues par don ne représentent en aucun cas une menace pour les donneurs et leur familles. L’association PMAnonyme défend un droit à l’identité et non à la rencontre et certainement pas à une filiation qui demeure protégée par le code civil.