Libération : Ouvrir la PMA à tous, en toute transparence

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Par Geneviève Delaisi de Parseval, Psychanalyste et Valérie Depadt, Maître de conférence en droit — 25 septembre 2018 à 13:07

Après l’avis rendu mardi par le Comité national d’éthique, le véritable enjeu de la révision des lois de bioéthique est de permettre aux adultes conçus par dons de gamètes d’accéder à la connaissance de celui qui a contribué à sa conception. Au Parlement de suivre…

Dans son avis rendu mardi, le Comité consultatif national d’éthique se prononce en faveur de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Le législateur doit-il suivre cet avis ? Oui. Depuis la loi de 2013 qui permet le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, la tendance va dans le sens d’un accès à la PMA aux couples de femmes homosexuelles. L’argumentaire est fondé sur la constatation qu’avoir deux parents, fussent-ils de même sexe, constitue une sécurité pour l’enfant, notamment en cas de divorce ou de disparition d’une des deux mères.

Psychanalyste et juriste souvent consultées sur ce point (1), nous avons depuis longtemps abondé dans ce sens. Nous étions plus réticentes sur l’accès à la PMA pour les femmes célibataires. Mais tant la clinique analytique que l’évolution de la société nous ont amenées à modifier notre position. On remarque en particulier que nombre de femmes seules recourent à la PMA parce qu’elles n’ont pas trouvé «à temps» (l’horloge biologique tourne vite) le «bon compagnon» susceptible à leurs yeux d’être le père de leur enfant. C’est donc souvent par défaut que ces nouvelles mères célibataires choisissent la PMA avec des dons de gamètes. Une constatation étayée par des études sociologiques récentes ; la clinique fournit par ailleurs de nombreux exemples de ces récentes familles recomposées.

Arrêter les souffrances inutiles

Dans son avis rendu mardi, le Comité consultatif national d’éthique se prononce en faveur de la levée de l’anonymat des futurs donneurs de sperme, pour les enfants issus de ces dons. Le législateur doit-il suivre cet avis ? Oui. Un recul de vingt-cinq ans permet de constater qu’avoir été conçu sans père par PMA avec un don de sperme est une «atypie de conception» qui figure parmi bien d’autres atypies que l’on rencontre de nos jours. Et tant l’expérience clinique que les études étrangères montrent clairement que cette particularité ne préjuge en rien de l’avenir psychique des enfants conçus ainsi. En forçant un peu le trait on pourrait même avancer – dans le cas des couples de femmes – que l’absence de père par défaut n’est ni de meilleur ni de pire augure que l’absence de père en raison de la volonté clairement exprimée de certains couples lesbiens de se passer d’un homme.

Ainsi le «nerf de la guerre» du ­recours à la PMA pour tous ne vient nullement du choix d’objet sexuel des parents, qu’ils soient célibataires ou en couple, hétéro ou homosexuels. Le principe de réalité renvoie au fait qu’un être humain est toujours conçu par un homme et une femme, fût-ce par leurs seuls gamètes dans le cas de la PMA où la circulation de ces ­gamètes entre sujets est organisée par la médecine dans le cadre d’un eugénisme tranquille. ­Gamètes que – pour ce faire – la loi a rendus anonymes, détachés des personnes qui en ont fait don.

Persévérer dans cette pratique sans traiter du statut des personnes conçues ainsi aboutirait à répéter, générations après générations, les souffrances inutiles d’adultes – pères et mères de famille souvent  – liées au refus que l’institution oppose depuis des décennies à leur demande de connaître leur part d’hérédité du côté paternel. Interdire à une personne majeure qui a été conçue par don de gamètes – sous la houlette de la médecine et grâce à elle  ! – d’accéder à la connaissance de celui qui a contribué à sa conception relève d’une vue à très court terme ; et d’une absence totale d’empathie, particulièrement pénible pour les sujets concernés.

Connaître son histoire

Un aménagement possible de la loi est souvent mal compris par nos concitoyens : il ne s’agit aucunement de supprimer l’anonymat entre donneurs et receveurs lors de la conception (contresens, savamment entretenu par certains). Le véritable enjeu consiste en réalité à compléter le système légal actuel en permettant aux adultes conçus par dons de connaître la totalité de leur histoire. Narration propre à chacun qui ­inclut, par définition même, un tiers, le donneur de gamètes, protagoniste lui aussi de cette nouvelle façon de faire famille et qui doit être situé à sa juste place dans l’arbre de la transmission. Il s’agit alors d’indiquer à ce dernier (ainsi qu’à sa compagne si c’est le cas) qu’en faisant don de ses gamètes, il s’engage à ce que l’enfant conçu grâce à lui puisse éventuellement connaître son identité à partir de sa majorité. Nul n’est au demeurant obligé de faire ce type de don qui implique toute une descendance, à la différence du don de sang ou d’un don d’organe.

Cette désinvolture institutionnelle, reconduite décennie après décennie et combinée à une absence de pédagogie s’avère finalement contre-productive. Car pour contrer l’argument utilitariste fréquemment avancé selon lequel toute brèche dans l’anonymat entraînerait une baisse du nombre de donneurs, il suffit de se référer à l’expérience des nombreux pays – dont la Grande-Bretagne – qui ont montré qu’une meilleure compréhension de la dynamique du don et du contre-don permet d’augmenter le nombre de donneurs et de mieux ­satisfaire ainsi à la fois l’offre et la demande.

Pour le don «ouvert»

Ce serait une impasse qu’emprunterait le Parlement s’il votait une demi-mesure consistant à ouvrir la PMA aux couples de femmes tout en maintenant le prétendu «principe éthique» du don anonyme. A l’occasion de la révision de la loi, nous demandons instamment, tant comme juriste que comme psychanalyste, que dans tous les cas de PMA avec dons (et quel que soit l’individu receveur, marié ou célibataire, hétéro ou homosexuel, femme ou homme), le donneur de gamètes fasse un don «ouvert». C’est-à-dire qu’il soit traité comme un sujet humain qui a posé un geste motivé par des raisons personnelles, au-delà de la seule générosité. Et non comme un simple pourvoyeur d’un matériel biologique.

Ce prérequis n’a rien à voir avec ce qu’on nomme «double guichet» (vocable administratif peu engageant… qui prévoit que les parents receveurs choisissent à la conception de leur enfant ce qu’ils pensent être le mieux pour son avenir et celui de sa descendance !) Rien à voir non plus avec une possible transmission de renseignements seulement médicaux à l’enfant devenu majeur, ce qui ne correspond guère à ce que demandent ces jeunes.

Deux «fausses bonnes idées» qui risquent cependant de se retrouver dans la loi à venir. Est-il trop tard pour dissiper ces malen­tendus tant auprès des décideurs que des sujets concernés ? Souhaitons que ce ne soit pas le cas.