Huffington Post : Pourquoi il faut donner le droit aux personnes conçues par dons de gamètes d’avoir accès à leurs origines

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Pourquoi il faut donner le droit aux personnes conçues par dons de gamètes d’avoir accès à leurs origines

Par Valérie Depadt, Professeur Maurice Mimoun

Les textes actuels qui imposent l’anonymat lors de la phase de conception doivent être maintenus, mais il est grand temps de considérer la situation de l’enfant.

Cette tribune, écrite à 4 mains, traduit une même conviction à laquelle ont mené des parcours différents, a priori étrangers l’un à l’autre. La chirurgie pour l’un, le droit pour l’autre. Mais pour l’un et l’autre, la même attente de la prochaine révision de la loi relative à la bioéthique: donner aux personnes conçues par don de gamètes les moyens d’accéder à la partie de leur histoire qui leur est actuellement confisquée, leur permettre de lever le voile sur celui ou celle qui a participé à leur conception.

J’ai rencontré Valérie Depadt à une conférence d’éthique organisée par le Professeur Emmanuel Hirsch dans le cadre des États généraux de la bioéthique (parMaurice Mimoun)

Je venais pour tout à fait autre chose. Pratiquant la chirurgie plastique, reconstructrice, esthétique et le traitement de la brûlure, j’avais pris la parole sur les greffes de peau. Mais le sujet suivant, concernant l’anonymat du don de gamètes, m’a interpellé. La question paraissait loin de mes préoccupations et pourtant les situations décrites, je les connaissais bien et même, très bien. C’était passionnant ! Passionnant que le domaine du droit et celui de la médecine s’entrechoquent, s’aident, se complètent. Nous avons formé le projet d’écrire ensemble. Quelque chose de juxtaposé. Je crois au mélange des genres, mais pas au mélange des compétences. Il était important que les deux textes soient côte à côte, comme pour reproduire le hasard de ce colloque. Notre conclusion est la même: il faut permettre à ceux conçus par don de gamètes d’accéder à leurs origines. Pour eux, l’ignorance demeure insupportable.

La souffrance de l’absence, on me l’a racontée mainte et mainte fois, jamais directement, je suis chirurgien, on me la raconte par le corps. Le prétexte du corps ! Voyant la situation se répéter couramment, je me devais d’inventer un mot pour en parler, pour décrire les patients perdus en eux-mêmes, perdus souvent sans le savoir et essayant d’expliquer leur tristesse. C’est ainsi que le « Corps Écran » est né.

Qu’est-ce que le « Corps Écran » a de commun avec l’anonymat des gamètes? Le « Corps-Écran », c’est se cacher derrière son corps, mais comment le comprendre mieux que par la description d’une clinique?

Irvin est un garçon de 25 ans enjoué, heureux, qui a le piano comme loisir et l’informatique comme métier. Il vient pour son nez, une petite bosse dont il ne veut plus. Nous discutons longtemps. Tout va vraiment bien. Sa famille est unie, c’est une notion à laquelle il attache une valeur essentielle. Sa mère est prof de biologie à la fac, sa sœur étudiante en droit. Il me parle beaucoup de son père, un archéologue dont il est très fier. Bref, tout va bien sauf la petite bosse sur le nez ! Régulièrement, il en plaisante: il a le nez de son père! Mais pourquoi cette bosse le gêne autant dans cette oasis de bonheur? Je lui demande de réfléchir et d’aller voir le psy pour s’éclaircir les idées.

Quelques mois plus tard, Irvin revient me voir. Le psy m’avait averti:

  • il va te faire une révélation. Tu sais, il souffrait beaucoup.
  • Ah bon!
  • Oui, il le cachait pudiquement.

Voici les mots d’Irvin:

Quand j’ai informé mes parents que je désirais me faire refaire le nez, il y a eu un malaise. La semaine d’après, ils m’ont convoqué solennellement et ils m’ont annoncé qu’ils m’avaient grâce au sperme d’un autre, d’un donneur. J’aime mon père. Je ne sais pas si je veux connaître mon géniteur.

Les choses étaient dites.

C’est cela le corps-écran, exprimer par le corps — le nez dans ce cas — une souffrance qui vient d’ailleurs. Et il a ajouté:

  • Quand je taquinais mon père en lui balançant que j’avais hérité de son nez, j’avais vu qu’il ne riait pas.

Ce récit illustre les méfaits du secret. Les parents doivent comprendre qu’on ne peut jamais rien cacher, les inconscients se parlent. On sait même quand on ne sait pas.

Je pourrais raconter bien d’autres histoires qui sont toujours la même, que m’ont confiées des patients conçus par « don anonyme ». « Souffrance de l’absence », je dois préciser dans ce contexte « souffrance de l’inconnaissable ». L’inconnaissable par essence est divin et l’humain arrive déjà difficilement à se résigner à ne pas savoir. Mais quand l’inconnaissable est fabriqué par l’homme, il est insoutenable.

Tant de patients sont venus me voir pour des complexes, des demandes qui se concentrent sur le visage. Le visage, c’est l’identité. Par ce prisme, tout devient évident. Et quand je pose la question: « Et votre père? » et qu’on me répond: « Mon père ou mon géniteur? Parce que mon géniteur, je ne le connais pas. Je suis né par… ». Tout est limpide.

Ces êtres sont perdus dans l’immensité de l’univers, ils ne savent pas où sont leurs pieds. Alors ils refont leur visage comme pour retrouver l’autre ou pour se rapprocher du visage du père qui les a élevés. Il pense ainsi que leurs pieds reposeront enfin sur la terre.

Pour m’intéresser à ce sujet depuis des années, je croyais en connaître toutes les facettes, avoir étudié toutes ses implications et recensé tous les arguments (par Valérie Depadt)

Je me trompais: les propos spontanés de Maurice Mimoun ont apporté un éclairage autre, celui d’un plasticien qui répare souffrances de l’âme en perfectionnant les visages.

En matière d’AMP avec tiers donneur, le système légal organise le secret de la conception au travers du principe d’anonymat entre donneurs et receveurs, de même qu’en effaçant toute trace administrative du don. Seuls les parents sont en mesure de dire à l’enfant les circonstances de sa conception et, lorsqu’ils décident de le faire, ils ne sont pas en mesure de répondre aux  » qui? », aux « pourquoi? ».

Les arguments qui ont fondé ce système, justifiés dans le contexte de l’époque de la seconde moitié du 20e siècle, apparaissent bien désuets depuis que qu’ils doivent être confrontés à la parole de celui qui est la raison d’être de tout protocole d’AMP avec tiers donneur: l’enfant. Aussi a-t-il fallu que les enfants grandissent, qu’ils s’expriment et disent leur-mal être de « ne pas savoir », leur colère aussi, qu’ils interpellent le législateur et en appellent au Conseil d’Etat, prochainement à la Cour européenne, pour que la question soit véritablement considérée. Et il aura fallu, également, que le développement des techniques leur permette de trouver, par leurs propres moyens, ceux qu’ils dénomment « leurs donneurs », à la recherche d’informations effacées par l’administration au nom d’intérêts dont on sait aujourd’hui qu’ils n’en sont pas.

De fait, concernant les relations entre donneurs et receveurs, les partisans et les opposants de l’accès aux origines se retrouvent pour approuver le principe. Celui-ci doit rester en l’état et les textes qui l’instaurent maintenus. Mais, légitime envers les parents et les géniteurs, il doit cesser de trouver son prolongement vis-à-vis de l’enfant. Pour ce dernier, le protocole médical, dont l’anonymat est un des éléments, doit connaître sa fin. La totalité de son histoire doit lui être restituée.

Il est édifiant de remarquer qu’aucun des textes relatifs à l’anonymat des dons de gamètes ne vise l’enfant, oublié du droit qui a encadré sa conception. Comme si l’histoire était exclusivement celle des donneurs et des receveurs, l’ignorance de ses origines par l’enfant une conséquence obligée d’une loi qui l’ignore parce qu’il a été cru que l’intérêt de ses parents se confondait avec le sien. L’idée est dépassée.

Les textes actuels qui imposent l’anonymat lors de la phase de conception doivent être maintenus, mais il est grand temps de considérer la situation de l’enfant. Pour ce faire, il suffirait d’intégrer dans le Code civil, parmi les grands principes qui régissent la biomédecine, ceux-là même qui posent en règle le principe d’anonymat des donneurs, celui du droit de la personne née par AMP d’accéder à ses origines, c’est-à-dire à son histoire. Il restera alors à organiser les modalités d’une telle ouverture, à accompagner les enfants devenus adultes dans leur chemin vers celui qui a participé à leur conception, comme leurs parents ont été assistés dans leur parcours médical de procréation.

Car dans notre société qui érige la transparence en valeur, une loi qui prive une personne de son histoire la maintient ainsi, sa vie durant dans le carcan de la médecine, comme un enfant de la science, une personne « pas tout à fait comme les autres ». Notre idée de l’humanité? Notre conception de la dignité? Ces notions qui fondent la bioéthique à la française.