Comment encourager le don de gamètes

Un texte remarquable de Geneviève Delaisy de Parseval à lire absolument. Il pose un certain de nombre d’idées qui devraient être les prérequis des débats de bioéthique au sujet du dons de gamètes.


Lien vers l’article de Libération : http://www.liberation.fr/debats/2017/11/14/comment-encourager-le-don-de-gametes_1610064

Face à la pénurie, l’agence de biomédecine lance une campagne pour promouvoir le don de sperme et d’ovocytes. Les exigences éthiques ne peuvent être les mêmes que pour le don de sang. Faut-il forcément exiger l’anonymat ?

La réglementation française qui régit la pratique des dons de gamètes et d’embryons repose sur trois valeurs, héritées ou plutôt calquées sur celles du don de sang qui datent de l’après-guerre : volontariat, gratuité, anonymat. Or, le système du don de sang commence à être mis en question. Il est utile à ce propos de se référer à la remarquable tribune parue dans Libération, le 6 octobre, sous la signature des professeurs Pierre Le Coz et Dominique Maraninchi. Tribune courageuse car les dons de la plupart des produits du corps bénéficient en France d’une aura éthique – d’un «certificat d’éthique» pourrait-on dire – à partir du moment où ils sont gratuits et anonymes. D’où un véritable tabou à dire que le système gratuité-anonymat n’est ni efficace ni particulièrement éthique. Le don du sang sauve des vies tandis que les dons de gamètes contribuent à mettre au monde de nouveaux êtres humains. Il n’y a donc pas lieu de faire d’amalgame entre ces deux dons en termes de résultats : donner ses gamètes (sperme ou ovocytes), c’est donner son hérédité à l’enfant issu de son don («don d’hérédité» était l’expression employée par le doyen Carbonnier pour qualifier le don de sperme) ; ce qui n’est pas le cas du don de sang.

Mais une mise en perspective du comportement des donneurs fait apparaître que ces femmes et ces hommes ont beaucoup en commun dans leur démarche, au point que nombre des donneurs de gamètes ont aussi donné leur sang, la réciproque étant aussi fréquente. Ce sont des individus qui font preuve d’altruisme, c’est entendu. Mais s’il y a si peu de volontaires, c’est qu’il y a quelque chose de plus complexe à comprendre dans leur geste.

Une première clé, soulignée d’ailleurs par les auteurs de la tribune sur le don de sang, tient au fait de l’évolution éthique de la société où la morale du seul désintéressement ne correspond plus à la sensibilité dominante de notre époque : les femmes et les hommes d’aujourd’hui sont demandeurs de gratifications narcissiques. Donner ses gamètes de manière anonyme ne répond pas à la possibilité d’identification empathique des donneurs – qui sont parents eux-mêmes – vis-à-vis des receveurs. Et réciproquement : certains donneurs souhaiteraient savoir combien d’enfants sont nés de leur don (ne serait-ce que par rapport à leurs propres enfants !), et si même un seul bébé est né grâce à leur don… Quant aux parents receveurs, nombre d’entre eux souhaiteraient, pour leur part, laisser une lettre au donneur pour le remercier, même si leur nom n’est pas mentionné. Toutes demandes refusées par les institutions médicales car non autorisées par la loi bioéthique figée dans des principes qui datent de 1994 (année du vote du premier texte de la loi) et même bien avant car inscrites dans le marbre de la déontologie des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (Cecos) depuis 1972.

Il convient ici de rappeler que tout don s’inscrit dans le cycle de l’échange (donner, recevoir, rendre) décrit historiquement par Marcel Mauss et repris notamment par Pierre Bourdieu. De nouvelles formes de reconnaissance, des contre-dons différents et possiblement différés, sont donc à inventer, faute de quoi les futurs parents iront plus que jamais à l’étranger faire des fécondations in vitro avec des dons de gamètes, impossibles en France faute de donneurs ; à moins qu’ils ne soient en plus découragés par la liste d’attente. Les auteurs de la tribune sur le don de sang parlent très justement de la nécessité «d’un effort d’incarnation qui répondrait au besoin ressenti par les donneurs de personnaliser la générosité hors de cadres collectifs anonymes et standardisés». Ils précisent qu’on pourrait encourager l’empathie en transmettant aux donneurs de sang quelques informations non identifiantes sur les receveurs (âge, profession, maladies, etc.). On pourrait reprendre mot pour mot cette phrase dans le cas des dons de gamètes, dans le sens d’une demande des receveurs à l’égard des donneurs.

Une deuxième clé au manque d’enthousiasme de donneurs possibles peut, paradoxalement, être liée à la question de l’anonymat des dons. Surprenant constat qui s’appuie cependant sur l’exemple de plusieurs pays, notamment sur l’expérience britannique qui a montré qu’en dix ans de pratique de levée de l’anonymat, les dons ont doublé ! Mais ce ne sont pas les mêmes donneurs : ce sont des hommes (pour ne prendre que le seul cas du don de sperme sur lequel on a plus de recul que sur le don d’ovocytes) qui cherchent un don plus solidaire ; des hommes plus matures, conscients qu’ils sont du fait que leur identité ne sera révélée qu’à des jeunes majeurs qui en exprimeront le besoin ; et que cela n’entraînera bien entendu ni droits ni devoirs relatifs à la filiation. La Suède a voté ce type de loi en 1989, et les enseignements qu’on en a tirés vont dans ce sens : moins de donneurs après le vote de la loi, mais davantage de donneurs quelque temps après, des donneurs différents. Ces hommes cherchent peut-être aussi une autre forme de reconnaissance, une valorisation plus «officielle» de leur démarche, une «rémunération symbolique» pour reprendre l’expression des auteurs de la tribune sur le don du sang.

Nombre de pays pratiquent désormais un «don ouvert» qui permet à un adulte conçu ainsi d’obtenir – via une institution ad hoc – l’identité de l’homme qui lui a donné son hérédité, celui-ci ayant évidemment fait un don dans ce type de cadre. Ainsi, quand la France aura adopté le système de l’open donor, comme en Grande-Bretagne, il y aura moins de tabous autour de ces questions, moins de «tourisme procréatif» et surtout davantage de donneurs.

Geneviève Delaisi de Parseval Psychanalyste.