Génèthique – 18 décembre 2015

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Audrey Kermalvezen soulève les paradoxes du don de gamètes

Source : http://www.genethique.org/fr/audrey-kermalvezen-souleve-les-paradoxes-du-don-de-gametes-64604.html

Audrey Kermalvezen, auteur du livre Mes origines : une affaire d’état, est née grâce à un don de sperme. L’ayant appris à l’âge de 29 ans, elle se heurte alors à la protection de l’anonymat des donneurs et reste dans l’incertitude de « cette part d’inconnu » qui la constitue. Elle a accepté de répondre aux questions de Gènéthique, à l’occasion d’une campagne menée par l’Agence de Biomédecine (ABM) sur le don de gamètes.

Gènéthique : L’ABM a mené cette année deux campagnes pour « booster » les dons de gamètes[1]. Ce sujet est abordé au niveau émotionnel, mais il pose de réels problèmes de santé publique, d‘éthique et de droit. Que pensez-vous de cette façon de sensibiliser le grand public au don de gamètes ?

Audrey Kermalvezen : Je comprends la nécessité pour l’ABM de mener des campagnes pour le don de gamètes, et je les encourage, mais je trouve dommage qu’il n’y ait toujours pas de sensibilisation au fait qu’un don de gamètes n’est pas comparable au don de sang ou au don d’organes. Le don de gamètes implique non pas deux mais trois personnes, et particulièrement l’enfant qui en est issu. Cet enfant est amené à devenir un adulte, mais on a tendance à l’oublier et à oublier son intérêt.

La PMA avec tiers donneur existe depuis plus de quarante ans en France. Qu’à cette époque tout n’ait pas été anticipé, c’est une chose. Mais quarante ans plus tard, les adultes issus d’un don de gamètes sont là pour s’exprimer. Or beaucoup de personnes issues d’un don de gamètes, en tout cas parmi ceux qui le savent, ressentent un malaise concernant l’anonymat absolu du donneur. L’enfant n’a aucune possibilité de connaitre ses origines, même adulte, et même si le donneur donne son accord. A la différence d’un adultère qui est une situation accidentelle, ici tout est organisé, et il serait possible de remonter le fil. Alors où se trouve le blocage ?

Aussi, je trouve dommage de banaliser le don de gamètes. Il faut informer les couples et leur faire prendre conscience que ce n’est pas un geste anodin. Au-delà des campagnes de l’ABM, tout est fait pour maintenir le secret sur le mode de conception de l’enfant. On singe la nature, en faisant en sorte que l’enfant issu du don ressemble physiquement aux deux parents : le donneur est sélectionné par le biais d’un appariement pour ses caractéristiques physiques. Ainsi, contrairement à une situation d’adoption où la différence s’affiche aux yeux de tout le monde, on fait passer l’enfant issu d’un don de gamète pour un enfant conçu naturellement. La différence est gommée. Les parents ne sont pas incités à faire le deuil de leur fertilité et à l’accepter. Pourtant le sperme ou l’ovocyte est bien issu d’un donneur ou d’une donneuse en chair et en os, sur lequel ou laquelle l’enfant pourra s’interroger par la suite. A travers ses interrogations, il « redonnera vie » au donneur ou à la donneuse, que le couple aurait pu préférer oublier. Plusieurs anciens donneurs disent n’avoir réalisé que des années après leur don, la portée de leur geste.

G : Quelles sont pour vous les différences entre le don de gamète et le don de sang ou d’organes ?

AK : Le don de gamète créé la vie, le don d’organes maintient la vie. Le donneur ne m’a pas donné un bras, un rein ou une jambe, il me constitue. Ma mère a été concernée dans sa chair pendant neuf mois par ce don, moi c’est toute ma vie. C’est aussi un don d’hérédité que je vais transmettre à mes enfants qui transmettront eux-mêmes cette part d’inconnu. Aujourd’hui, je sais que j’ai potentiellement des dizaines de demi -frères et sœurs dans la nature. Mes enfants et leurs enfants sont susceptibles de se rencontrer, or toutes ces personnes ont en partie le même patrimoine génétique. Le problème ne concerne pas que nous.

Par ailleurs le don de gamète, qui concerne une tierce personne, n’est pas un acte ponctuel, il a des conséquences sur le long terme. J’aurais pu, avant de savoir comment j’ai été conçue, décider de recourir à un don de gamète si mon conjoint avait été stérile, et être inséminée par le sperme de mon propre géniteur[2] ! Il n’y a aucun suivi, or le don de gamète transcende les générations.

Cet anonymat, cet inconnu est transmis de génération en génération. Il pose des problèmes inédits par rapport au don d’organes. D’ailleurs, en matière de don d’organes, il y a des exceptions à l’anonymat soi-disant absolu, ce qui n’est pas le cas du don de gamètes.

G : La « transparence » est le maitre mot de l’Agence de Biomédecine. Elle l’invoque notamment pour justifier ses campagnes sur le don de gamètes. Est-elle pour autant respectée ?

Les enfants issus du don de gamètes sont toujours la dernière roue du carrosse. La transparence vaut pour les uns, mais pas pour les autres. C’est d’autant plus vrai qu’en France, le principe d’anonymat est extensible. Il couvre les données identifiantes et non identifiantes du donneur. Je n’ai par exemple pas le droit de savoir si mon frère et moi avons été conçus avec le même donneur, alors que cela ne changerait rien à l’anonymat du donneur. La question de la transparence n’est pas du tout adaptée.

De plus, aujourd’hui, il n’y a aucun recoupement entre les vingt quatre CECOS[3] français. Il est impossible de vérifier qu’un donneur n’a pas donné sans limitation dans plusieurs centres. La loi a fixé à dix le nombre maximal d’enfants susceptibles d’être conçus avec un même donneur, mais cette interdiction n’a jamais été assortie de sanctions pénales. Le système repose « sur la confiance accordée au donneur », et aucun fichier commun à tous les CECOS n’existe. C’est un frein à la transparence et au suivi des dons.

Permettre un accès aux origines obligerait les responsables des banques de sperme à rendre des comptes concernant ce qu’ils ont réellement fait, et le nombre d’enfants nés du sperme d’un donneur. Mais contrairement à ce que j’imaginais, les CECOS sont nos premiers opposants.

G : Vous présidez l’association Procréation Médicalement Anonyme (pmanonyme.asso.fr) qui agit pour la reconnaissance d’un droit d’accès des personnes conçues par don de gamètes à leurs origines. Quelle évolution demandez-vous ?

Nous ne souhaitons pas la suppression de l’anonymat, en revanche il faut que l’enfant, à sa majorité, s’il en éprouve le besoin, ait la possibilité de connaitre l’identité du donneur et d’obtenir des informations sur lui. Des informations non identifiantes pourraient même être divulguées avant la majorité, avec l’accord des parents. C’est un système qui existe ailleurs en Europe, sans poser de problème particulier. Les donneurs sont de toutes façons protégés, contre toute demande d’héritage par exemple, puisque le droit prévoit qu’aucun lien de filiation ne pourra jamais être établi entre le donneur et l’enfant issu du don. La responsabilité du donneur ne peut pas être recherchée.

Prendre en compte l’intérêt de l’enfant passe par la possibilité de remonter les origines à sa majorité. A l’heure actuelle, c’est comme un deuil impossible à faire pour l’enfant issu du don de gamète. Tant que la personne n’a pas vu le corps d’un proche décédé, elle ne peut faire son deuil. De même, tant que l’enfant n’a pas accès à ses origines, il porte ses interrogations.

Souvent je suis accusée de vouloir « biologiser » la filiation, mais la seule part que j’ai de mon géniteur est biologique ! Je voudrais trouver un visage, de l’humain, pour contrer l’aspect médicalisé et aseptisé de mon mode de conception. Faire sortir les donneurs du placard.

[1] cf Gènéthique :
Une campagne inquiétante qui banalise le don de gamètes (1/2)
Une campagne « opaque » sur les enjeux du don de gamètes (2/2)
[2] La loi ne prévoit pas de limite quant à la durée de conservation et d’utilisation du sperme congelé
[3] Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (banque de pserme et d’ovocytes des hôpitaux publics français)