Don de sperme: le Conseil d’Etat invité à maintenir l’anonymat
Le don de sperme doit-il rester anonyme ? Oui, a répondu mercredi le rapporteur public du Conseil d’État, en proposant aux juges de renvoyer à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) le soin de trancher « ce sujet de société particulièrement délicat ».
La plus haute juridiction administrative était saisie par une femme de 35 ans conçue par insémination artificielle avec donneur, qui mène depuis des années un combat judiciaire pour obtenir une levée partielle du secret qui entoure ses origines.
Déboutée de ses demandes par le tribunal administratif puis par la cour administrative d’appel, elle a saisi le Conseil d’État, arguant que la loi française viole l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme sur « le droit au respect de la vie privée et familiale ».
Le rapporteur public a demandé aux juges de rejeter sa requête. Le Conseil d’État a mis sa décision en délibéré. Elle devrait être rendue dans trois à quatre semaines.
« Nous assumons le rôle modeste du juge » sur « ce sujet de société particulièrement délicat », a justifié Édouard Crépey, après avoir admis que la loi française, qui prône aujourd’hui un anonymat quasi-total sur le donneur de sperme, pouvait être retoquée à l’avenir par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Plusieurs arrêts de la cour de Strasbourg ont en effet déjà précisé les contours du droit au respect de la vie privée, en ce qu’il s’applique au droit de toute personne à connaître ses origines.
Mais le rapporteur public n’a pas pour autant proposé aux juges du Conseil d’État d’obliger le législateur français à revoir dès à présent sa copie, renvoyant cette responsabilité à la CEDH qui, a-t-il souligné, « n’a pas encore tranché la question ».
– Risque de consanguinité –
Le rapporteur public avait auparavant fait valoir que le législateur français avait réaffirmé son choix en faveur de l’anonymat lors des débats sur la loi bioéthique du 7 juillet 2011, alors que l’hypothèse d’une communication sur des éléments non-identifiants (qui ne permettent pas d’identifier le donneur) avait été évoquée.
Il a par ailleurs repris les conclusions d’un précédent avis du Conseil d’État, selon lequel le législateur français a « établi un juste équilibre entre les intérêts en présence, donneur, couple receveur et enfant ».
« Depuis quand une haute juridiction nationale doit-elle attendre un arrêt de la CEDH pour statuer sur la conventionnalité d’une décision interne ? », s’est étonné à l’audience l’avocat de la requérante, Me Julien Occipinti, en demandant au Conseil d’État d’assumer ses responsabilités.
« L’absence d’arrêt de Strasbourg en la matière ne doit pas vous déterminer à rejeter notre requête », a plaidé l’avocat, rappelant aussi qu' »il n’y avait pas eu d’unanimité chez les parlementaires, lors des débats sur la loi bioéthique, pour dire que la levée du secret était inacceptable ».
La requérante, avocate de profession qui a témoigné dans un livre sous le nom d’emprunt d’Audrey Kermalvezen, avait saisi l’administration en 2009 après avoir découvert, à 29 ans, avoir été conçue par insémination artificielle. Mais elle s’est toujours heurtée au refus de l’Assistance publique hôpitaux de Paris (APHP), l’anonymat du don étant inscrit dans la loi française.
« Le Conseil d’État a les moyens d’entourer sa décision de conditions, de manière à ne pas en faire un arrêt de principe qui fasse jurisprudence », a fait valoir la jeune femme à l’issue de l’audience.
Audrey Kermalvezen faisait allusion à sa situation particulière. Mariée avec un homme également né d’un don de gamètes, elle souligne le risque potentiel d’une consanguinité en raison de l’impossibilité d’obtenir la moindre information sur son géniteur et celui de son mari.
« De toute façon, le législateur devra revoir la loi française qui n’est pas conforme à la convention de la CEDH. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera dans cinq ans quand la Cour statuera », a-t-elle souligné. Si elle est déboutée par le Conseil d’Etat, elle compte toujours saisir la justice européenne.